Une autre croyance ou une idéologie originale pourrait combler le vide, relier la société, répondre aux aspirations et aux espérances d’une multitude bêtement vouée au matérialisme. Mais une religion nouvelle ne se décrète pas. Elle est souvent le rejeton d’une vieille souche toujours vivante, tel le christianisme des origines issu du judaïsme. Elle est parfois la synthèse de diverses croyances, tel le manichéisme, union du christianisme, du bouddhisme et du zoroastrisme en une seule foi. Un peuple sans aspiration spirituelle forte voit sa conscience s’évanouir. Les structures de l’Etat subsistent, mais chacun voit qu’elles plient sous la pression des foules ignorantes (a-gnostiques). Les hommes qui constituent le cadre politique post-révolutionnaire ne se distinguent plus des électeurs. Les rangs se brouillent et nul n’est à sa place. L’administration locale se complique comme un château de cartes sans que chaque pièce ajoutée ne provoque l’admiration de quiconque. A la porte des églises closes, le prêtre n’est plus qu’un souvenir qui se dissimule en habit ordinaire. L’Eglise s’est épuisée à porter douze siècles durant le credo de Nicée. Il fut la chance de l’Empire romain finissant et donna vigueur au Moyen Age. Il est la première cause de l’anéantissement des âmes. Qui ne voit la lassitude des derniers fidèles à rabâcher sans conviction une théologie éculée et des mythes antiques ?
La pensée cathare peut-elle constituer un nouveau lien social ? Peut-elle réussir dans une république démocratique égarée ce que le Moyen Age monarchique et catholique ne lui a pas permis de réaliser ? La question touche au paradoxe puisque nous savons que le catharisme se veut hors du monde qu’il sait ne pouvoir changer en son essence et qu’il n’a a fortiori aucune vocation à diriger. Il n’empêche qu’il peut s’inviter à éclairer la société moderne d’une spiritualité chrétienne retrouvée. Le renouveau cathare se rattache à la longue tradition du dualisme marcionite affirmé dès le IIe siècle, parallèlement à la théologie romaine, et qui connut une floraison remarquable dans l’Occitanie du XIIIe siècle. L’histoire montre qu’une telle vision du monde, avec la tension qu’elle présuppose entre la matière et l’esprit, a pu s’organiser en un système religieux ou quasi-religieux, délivrer un enseignement et élaborer une conduite de vie. Il n’empêche que le mot religion ne nous semble pas aujourd’hui pertinent pour désigner le redéploiement de la pensée cathare.
Le principe supérieur immanent au monde et cause de la destinée humaine est le dieu créateur à qui nulle obéissance n’est due. L’attitude intellectuelle et philosophique qui résulte d’un tel postulat ne peut constituer une conduite de vie et un modèle social qu’a contrario. Nous devrions presque parler d’une anti-religion dès lors que la quête du vrai interdit d’entrer dans un système de croyances, que le rejet du droit positif efface toute norme morale, que la voie de la simplicité échappe aux rituels. La gnose, le discernement de la conscience et la sagesse fondée sur la non-violence n’ont jamais formé de religions, mais plutôt des écoles philosophiques. Dans l’esprit, Jésus fut certainement plus proche de Pythagore, de Socrate, de Diogène et d’Epicure que n’importe quel grand prêtre ou pape de Rome ne le fut de lui.
Le catharisme ne peut se développer dans la modernité que comme une école de sagesse tendue vers le dieu inconnu. Les cathares privilégient la simplicité et la vie de l’esprit en eux-mêmes. Ils ne prétendent pas former un groupe particulier à l’intérieur de la société, mais autant d’individualités conscientes et reliées, sources remarquables d’une vie différente que celle que le monde impose aux vivants.
Dieu n’a pas de réalité dans le monde. Il est absent et n’est pas opposable. Pourtant, l’idée de Dieu purifiée se révèle dans les esprits. Cette purification est un chemin de vérité qui passe par la réalité des faits et la logique du discours. Toute lecture des textes fondateurs doit s’appuyer sur la méthode historico-critique qui invalide les raisonnements théologiques.
La vieille Bible montre un Dieu législateur attaché aux valeurs mondaines, tandis que l’Evangile dévoile un Dieu détaché du monde.
Paul élabore l’idée de deux créations :
- le Dieu biblique crée un homme instinctif et passionné, issu du règne animal;
- le Christ crée un fils d’homme, issu du règne de l’esprit, capable du discernement de conscience. Il n'annonce pas la régénération de la chair, mais le rebut.
Le monde fondamentalement mauvais dans lequel nous vivons appartient au Diable. Le mal – qui n’est, tout simplement, que ce qui fait mal – est premier et le bien ne vient jamais que soulager l’excès de mal. Le dualisme oppose la non-violence à la violence. Vu que le mal est intrinsèquement lié à la vie, pourquoi imaginons-nous un Dieu créateur de toute bonté ? Il y a là une sorte d’attachement affectif qui nous relie au Diable comme l’esclave à son maître. Ce questionnement nous situe dans la tradition paulinienne où nous retrouvons le christianisme de Marcion de Sinope et des cathares d’Occitanie.
Nous témoignons que les flammes des bûchers n’ont jamais brûlé les pensées. Une espérance nouvelle germe dans les multitudes qui pérégrinent par les sentiers escarpés des hauts lieux de la pensée cathare. Nos moyens de communication nous relient aux chrétiens en quête de sens et aux croyants cathares d’Europe et d’Occident. Notre christianisme n’est pas dogmatique. Il s’agit d’abord d’un questionnement qui a pour origine la vision douloureuse du monde. Il suscite la compassion et s’inscrit dans la simplicité de vie. Et chacun de nous se hâte à son rythme, sur le même chemin, vers le dieu inconnu.
La philosophie cathare est une philosophie de libération qui renverse la perspective commune. Elle rencontre, dans la société humaine, une difficulté aussi grande que celle de Galilée qui cherchait à démontrer que l’évidence était pourtant l’erreur.
En 1309, le dernier cathare revêtu et martyr, Guillaume Bélibaste, prophétisait : « Au bout de sept cents ans le laurier reverdira… »