La pénétration du « langage de la croix » (1 Co. I, 18), c'est-à-dire l'intelligence du sens que revêt l'exécution de Jésus, ne peut éclairer l'homme, sans que Dieu lui fasse la grâce de sa lumière. « La parole » clouée au bois est antinomique aux lettres gravées sur la pierre (2 Co. III, 6-7). Elle dévoile ce qu'il faut connaître de la perversion du monde et de l'égarement des lois. Elle engage à discerner la puissance de Dieu à l’œuvre dans la rupture. Elle donne enfin le courage inouï pour affronter la loi comme le mal. Paul appelle à une lecture seconde de l'événement.
Une lecture voisine du sacrifice d’un fils de Dieu se retrouve dans la persécution dont le Maître de justice fut victime, probablement peu de temps avant le Nazaréen :
« C'est de ta part qu'ils ont attenté à ma vie, afin que tu fusses glorifié par le jugement des impies et que tu manifestasses ta puissance en moi en face des fils d'homme. » (Hy. II, 23-25).
L’interprétation paulinienne diffère par son radicalisme. L'évangile actualise la capacité du Seigneur à sauver les hommes qui témoignent, dès maintenant, de leur rejet de la loi (Rm. I, 16). La confiance en la (nouvelle) parole sépare les pauliniens des communautés esséniennes et nazaréennes. Pour celles-ci, il s'agit toujours « de garder la foi et le droit strictement selon la justice de Dieu. » (Règle X, 25) (Mt. V, 18). En sa forme la plus vraie, la foi paulinienne place une telle confiance en la vérité du Christ que le converti mène sa vie jusque dans la négation la plus absolue des œuvres de la Torah. Chaque coup de fouet avère que le mal imprègne le droit. Chaque jet de pierre affermit le chemin qui serpente vers le reniement. La foi du converti se revêt ainsi de la puissance du témoignage. Au nom du dieu de la loi, les fondés de pouvoir jugent de la conformité des œuvres selon le droit positif. Ils mesurent l'adéquation entre les préceptes, les commandements, et la conduite objective de chacun. A l’opposé, l'évangile donne à chaque converti l'état d'esprit « juste » que la loi ne connaît point (Ga. III, 11).
Le recours à l'oracle d'Habacuc (Rm. I, 17) peut nous aider à mieux comprendre le sens que donne Paul au terme « foi ». « Voici que l’injuste a en lui une âme enflée, tandis que le juste vit par la foi. » (Ha. II, 4). L’oracle est à situer dans l’actualité de la conquête chaldéenne. L’invasion constitue la réponse de Yhwh à son peuple qui viole la Torah : « La loi est paralysée et le droit n’apparaît plus jamais. » (Ibid. I, 4). Seul le juste a confiance en l’accomplissement des avertissements ou des promesses de Yhwh. Debout sur son rempart, le prophète guette l’oracle. La foi du juste (celui qui se conforme à la Torah) consiste à croire en la parole de Dieu. Pour Habacuc, en la malédiction qui vient.
Dans le livre du prophète, la foi suppose la conformité à la Torah. Elle exprime la confiance en la parole et en le jugement du Seigneur, fondateur et garant. La foi sauve Israël de la domination chaldéenne ou de la calamité divine, parce qu'elle donne conscience au peuple de la valeur de sa loi, du droit qui le structure et le rend fort comme un bloc. L’interprétation paulinienne est à contresens. Pour Paul, la foi ne signifie point une espérance (terrestre) qui se traduirait par une application fidèle à la pratique de la Torah. C’est au contraire dans l'annonce déconcertante d'une nouvelle justice de Dieu et dans le reniement de la loi qu’il trouve son espérance. Paul utilise malgré tout l'oracle d'Habacuc comme preuve de son argumentation parce qu’il s’adresse à des légalistes. Il conserve au terme « foi » le sens d’une confiance dans le secours de Dieu pour la vie sauve. Mais il s’agit alors de la vie céleste (désincarnée), qui ne peut plus être réglée selon les lois du monde. La foi ne s’attache désormais qu’à une justice « en dehors de la loi » (Rm. III, 21).