Le pourfendeur de la Torah peut penser que l'observance des préceptes par les zélateurs ne relève que d'une stricte connaissance de la lettre et d'une pratique pointilleuse des commandements. La casuistique des Pharisiens, les prérogatives des Sadducéens et la superstition des Esséniens, ne peuvent qu'assurer Paul en sa conviction : la loi n'est qu'un complexe social fermé qui happe les êtres et les choses.
Il faut cependant comprendre que le crédit accordé par les fils d’Israël aux promesses de Yhwh représente un vrai acte de foi. La pratique de la Torah suppose la confiance en sa finalité autant qu'en son principe : « Vous observerez mes préceptes et mes sentences : l'homme qui les exécute vit par eux. » (Lv. XVIII, 5). Tout a commencé par l'acte de foi d'Abraham, authentifié par l'observance de la loi avant qu'elle ne soit proclamée. Tout a recommencé par un acte de foi en Yhwh et en Moïse son serviteur (Ex. XIV, 30-31). La foi d'Israël porte à croire que la loi donne l'existence : « Je leur ai donné ma loi et je les ai éclairés pour qu'en accomplissant cela, ils vivent, deviennent vieux et ne meurent pas. » (Ant. Bib XXIII, 10). La foi paulinienne laisse penser tout au contraire que la loi ne donne que la mort (2 Co. III, 7), parce que la vraie vie n'est guère plus dans l'existence d'un peuple qu'elle ne se trouve dans l'incarnation de l'homme.
La foi en la législation mosaïque et la foi en la liberté paulinienne procèdent indubitablement d'une semblable confiance en la parole et en la puissance de Dieu. Sans doute, l'interprétation de la parole du Seigneur n'a jamais véritablement fait l'unanimité dans l'histoire d'Israël. L'on sait qu'elle constitue un formidable enjeu de pouvoir, pour les Sadducéens et les Pharisiens qui se disputent l'autorité. Elle est source de chamailleries, depuis les disputes de Chammaï et de Hillel, scrupuleusement pérennisées par leurs disciples. Elle justifie encore les persécutions, pour le malheur de la Communauté des Saints, bientôt pour celle des Nazaréens (Mt. X, 17-18). Voici que la bonne parole paulinienne propose une nouvelle dialectique. A nulle autorité, elle ne dispute la loi.
Le peuple d'Israël a cru en Yhwh, parce qu'il avait compris que son destin serait assuré par « la grande puissance » du Seigneur (Ex. XIV, 31). Paul proclame que la vraie puissance de Dieu, celle qui sauve l'homme pour l'éternité, s'est déclarée en la résurrection du Christ. Le vrai Dieu n'intervient dans les affaires du monde, que pour informer l'homme de sa qualité d'étranger au monde, jusque dans son corps de chair qui n'est que le mauvais fruit de la faute d'Adam. Il lui révèle qu'ailleurs, dans l'éon du troisième ciel, il peut retrouver à jamais sa véritable demeure (2 Co. XII, 2).
A l’inverse, Yhwh construit l'histoire pour son peuple. Par elle, il cherche à le constituer et à le sauvegarder, depuis les promesses qu'il fit aux patriarches et la reprise en main lors au retour d'Egypte : « Appliquez votre cœur à toutes les paroles que j'atteste aujourd'hui contre vous, celle que vous commanderez à vos fils de veiller à les pratiquer, toutes les paroles de cette Loi ! Car ce n'est pas pour vous une vaine parole, c'est votre vie et c'est par cette parole que vous prolongerez vos jours sur le sol pour la possession duquel vous allez passer le Jourdain. » (Dt. XXXII, 46-47). Parce que la Torah préserve le groupe, elle lui sacrifie les individus. Elle garde la vie sauve à celui qui est intégré au peuple et, par conséquent, qui pratique la loi.
Le Dieu paulinien n'a point de peuple (séparé). Il sauve l'homme en son individualité. Il l'extrait du monde destructible, le coupe de la génération d'Adam (Rm. V, 12), le guérit de l'incarnation mortelle (1 Co. XV, 53). Il le recrée en sa nature céleste.