Le jugement porte sur l'injustice et l'impiété. Elles naissent de l'ignorance de la réalité de Dieu. Si la Torah conservait quelque validité (Ga. III, 21), il suffirait d'en donner une nouvelle « interprétation » (Damas B I, 6) juste et bonne pour tous. Les deux principes de lois ne coïncident pas. La Torah n'est pas fondée sur la liberté de l'homme, mais sur la fidélité au pacte de l’ancienne Alliance. L'on ne peut affirmer, par exemple, que la circoncision ou le Chabbat sont connaissables par l’esprit (Jub. II, 26). Affirmer que le Seigneur a deux lois contraires en sa main de justice, la Torah et la loi de l'esprit, contrevient à l'idée de « puissance de Dieu » (1 Co. I, 18). La Torah ne se transcende ni ne s’accomplit. Elle s'abroge ! (Rm. X, 4). Elle ne saurait se présenter comme une concession, une sorte de droit acquis pour les Hébreux (Ga. II, 21). Face à l'incontournable Torah, l’apôtre se débarrasse du dilemme : il sera bien trouvé dans cette loi punitive un châtiment à l’encontre de celui qui contrevient (aussi) à la loi de l'esprit (Rm. II, 12). D'autant que nul n'étant jamais conforme à la Torah, tout hébreux s'expose irrémédiablement à la malédiction de Yhwh (Ga. III, 10). Hénoch n’a-t-il pas vu « l’œuvre des hommes pesée à la balance » ? (1 Hen. XLI, 1).
Le mélange des sens que revêt le terme « loi » 1 (Rm. II, 13) dans la correspondance paulinienne, ne doit pas nous égarer. Parmi les Hellènes, comme parmi les Hébreux, ceux qui pratiquent la loi de l'esprit sont justes. Leur justice se vérifie dans l'adéquation de leurs actes avec la loi universelle inscrite en leur cœur. Ils ne connaissent d'autre juridiction que « le tribunal de Dieu » (Rm. XIV, 10). Les Hébreux qui pratiquent la Torah sont nécessairement appelés à être jugés en dernière instance en regard de la loi de l'esprit. L'appel invalide le jugement de première instance.
L'idée suivant laquelle la justice émane de Dieu par l'esprit saint est affirmée tout au long du recueil des Hymnes : « A toi, à toi appartient la justice ! Car c'est toi qui as fait tou[t esprit] [avec ta force] et avec ton intelligence ; car c'est toi qui as assigné l'esprit du juste. » (Hy. XVI, 9-10). Cependant, l'auteur proclame qu'il n'est point d'autre justice que celle de Dieu, comme il n'est point de loi hors la Torah et la règle de l'Alliance (Ibid. 14-15) :
« Et je sais que nul n'est juste en dehors de toi ; et j'ai apaisé ta face grâce à l'esprit que tu as mis [en moi] afin d'accomplir tes [grâ]ces envers [ton] serviteur à [jamais] en me purifiant par ton esprit saint et en me faisant progresser dans ta volonté selon la grandeur de tes grâces. » (Hy. XVI, 11-12).
Dans la tradition essénienne, la justice de l'homme dépend en effet du bon partage de l'esprit dont Dieu l'a doté. Néanmoins, cette dernière faveur ne le dispense jamais de l'obéissance à la loi positive. Au contraire, elle l'incline vers la juste interprétation et la pratique sainte (Règle XI, 2-9). Paul s'adresse à une Communauté qui reconnaît en elle l'action de l'esprit saint, mais dans le but de mieux reconnaître la vérité de Dieu dans la loi de Moïse. Ici, l'esprit est garant de la fidélité. Chez l'apôtre, il provoque la rupture. Il n'incline pas vers la Torah, mais dispense, par la grâce, une loi d'une toute autre nature.
1 Joseph Michael Winger : By What Law ? The Meaning of "nomos" in the Letters of Paul (Dissertation series / Society of Biblical Literature N° 128, Scholars Press, Atlanta 1992).