Atteinte du mal de la matière, comme d’une lèpre maligne, la création divine se trouve malheureusement polluée (1 Hén. X, 7-8). L'illusion ainsi créée laisse accroire à l'homme qu'il tient la réalité en son regard, que la volonté de Dieu appelle à un embellissement de son environnement naturel, à un progrès de l'organisation sociale, à « une guérison de la terre » (Ibid. 7). Le monde de la chute est enfermé dans un abîme où il ne contemple que lui-même. Il appelle son espérance en ce qu'il paraît être : les idoles pour les uns, la Torah pour les autres. Paul nomme « mensonge » (Rm. I, 25) ou encore « vanité » (Rm. VIII, 20) l'idée qui s'attache au créé.
En son corps psychique, l'homme n'est point seul à être condamné à la destruction. Toute la création vivante partage le même « esclavage » (Ibid. 21) et la même souffrance :
« Toute la création gémit dans les douleurs. » (Rm. VIII, 22)
« La terre crie à cause de la calamité survenue dans le monde, et tous sespoussent des clameurs, et tous ceux qui sont sur elle sont dans l'affolement, et ils chancellent en proie à un grand malheur. » (Hy. III, 33-34)
Le Juste brosse ainsi un tableau lyrique de la création devenue « le domaine de l'impiété » (Hy. III, 24) : « Et les liens de la mort ont enserré, sans qu'on pût s'échapper ; et les torrents de Bélial ont débordé sur toutes les berges élevées, tel un feu qui dévore toutes leurs rives, exterminant de leurs canaux tout arbre, vert ou sec, et qui fouette avec des tourbillons de flamme, jusqu'à disparition de tout ce qui s'y abreuve. Il dévore toutes les fondations de bitume et les assises du continent ; les fondements des montagnes sont la proie de la combustion, et les racines de silex deviennent des torrents de poix. Et il dévore jusqu'au grand abîme, et les torrents de Bélial font irruption dans l'abandon ; et les
La vision paulinienne (prendrait-elle appui sur la doctrine des Saints), est autrement absolue. Le principe de la création vaine, ou de l'asservissement de la création authentiquement divine, se perçoit dans le lien qui relie inextricablement la vie à la mort. Il se caractérise par un état de lutte permanente, de colère et d'angoisse. Aucune vie n'y est éternelle, toute mort y est certaine. Pire encore, la « vanité » (Rm. VIII, 20) de cette vie (le néant) édifie le monde, engendre inéluctablement la vie pour la mort. Les lois, que les hommes sacralisent et honorent, régissent ce système, en lequel nulle créature ne vit sans la mort d'une autre. Les lois règlent la course des survivants de l'éphémère, vers les butins de toutes les convoitises.
« Et l'impatience de la création attend le dévoilement des fils de Dieu. Car la création a été soumise à la vanité à cause de celui qui l'y a soumise malgré elle, mais avec l'espérance qu'elle aussi, la création, sera libérée de l'esclavage de la destruction pour la liberté de la gloire des enfants de Dieu. » (Rm. VIII, 19-21))
Il nous apparaît suffisamment clair que, pour Paul, Dieu n'a pu soumettre lui-même sa propre création à « l'esclavage de la destruction ». Quant à Adam, s'il est bien la cause de l'entrée dans le monde du péché et de la mort (Rm. V, 12), il ne saurait en être le principe. Adam ne désobéit (Ibid. 19) que parce qu'il pouvait le faire. En sa chute abyssale, il inaugura l'esclavage de l'incarnation auquel il se trouva soumis malgré lui. Une puissance agissante, dont Paul tait le nom qu'il pourrait lui donner (Rm. VIII, 20), fut la cause d'Adam comme « premier homme » incarné (1 Co. XV, 45). Elle soumit la création tout entière en lui imposant une volonté, qui n'est peut-être finalement que la mystérieuse volonté de Dieu. Mais voilà que cet asservissement se trouve accentué, prolongé, organisé, par une loi incapable de faire vivre (Ga. III, 21), qui provoque le péché (Rm. VII, 5) et justifie l'esclavage (Rm. VIII, 15) (Ga. IV, 24). L'on sait que cette loi a été « prescrite par des anges » indubitablement mauvais (Ga. III, 19). Mais Paul ne dit rien sur son principe (Rm. VIII, 21).
Pour les membres de la Communauté des Saints, la dualité des esprits qui sévit en un combat mortel, au cœur de la divine création, participe des mystères de l'intelligence divine (Règle IV, 15-26). L'affirmation selon laquelle l'opposition de Bélial relève d'un identique mystère (Guerre XIV, 9) appelle, chez Paul, l'idée que l'endurcissement d'Israël demeure incompréhensible (Rm. XI, 25). Néanmoins, la dualité paulinienne apparaît toujours bien plus fondamentale. Elle ne procède pas de deux esprits contraires, créatures divines à part entière (Règle III, 25), mais de l'opposition absolue de l'esprit et de la matière. Le mal est irréductiblement attaché au « corps du péché » (Rm. VI, 6). L'incarnation est un mystère dévoilé (Rm. XVI, 25), dont Dieu n'est point la cause immédiate. L'esprit du mal possède une puissance créatrice, quelle que soit la vanité de ses œuvres. Recouverte de sa chape matérielle, atteinte du mal de « la destruction » (Rm. VIII, 21), la création « soumise » (Ibid. 20) espère en la victoire de l'esprit et en la paix éternelle. Son espérance demeure passive. Elle ne peut attendre sa délivrance que des « fils de Dieu » (Ibid. 19). Adam, obéissant à une volonté perverse, provoqua la catastrophe cosmique de l'incarnation et la matérialisation de l’univers. Il introduisit le péché et la mort dans le monde (Rm. V, 12). Par les hommes de foi obéissant au Christ et à la volonté de Dieu (1 Co. XV, 21), la mort sera vaincue pour le bénéfice de la création entière. Le monde à venir n'est point celui d'une création terrestre bénie, où le lion paît avec l'agneau (voir Is. XXXIV, 11-15 ; XXXV, 6-9), mais d'un au-delà céleste qui relève aussi du mystère (1 Co. XV, 51).