L'hostilité que connaissent le Goyim dans la société pharisienne amène plus facilement leur adhésion (voir Mt. VIII, 11-12 ; XII, 21 . XXI, 43 ; XXIV, 14 ; XXV, 32 ; XXVIII, 19). Non seulement ceux-ci modifient leur façon d'être, mais ils prennent formellement le statut de Prosélytes convertis à la pratique de la Torah. Ils s'agrègent au peuple d'Israël, selon le rituel consacré.
La Communauté des Saints accueille « tous les volontaires, ceux qui veulent pratiquer les préceptes de Dieu, dans l'Alliance de grâce, afin qu'ils soient unis dans le Conseil de Dieu et afin qu'ils se conduisent devant lui de façon parfaite » (Règle I, 7-8) (Mt. V, 48). Il y a cependant toujours un préalable : les volontaires doivent être (déjà) « issu[s] d'Israël » (Ibid. VI, 13) (Damas XV, 5) (Mt. X, 6). Inversement, quiconque parmi Israël « méprise d'entrer [dans les voies de Di]eu pour aller dans l'obstination de son cœur ne [passera] pas [dans] [la] [Com]munauté de vérité. Car son âme a pris en dégoût les instructions de la connaissance, il n'a pas affermi (en lui) les ordonnances de justice par la conversion de sa vie : en sorte que parmi les hommes droits il ne sera pas compté » (Règle II, 25-III, 1).
La Communauté apparaît comme le reste privilégié d'Israël, « [séparé] de la congrégation des hommes pervers (les Judéens), pour devenir une Communauté dans la loi et quant aux biens et au
Paul affirme également qu'Israël, un moment endurci (Rm. XI, 7), sera sauvé (Rm. X, 1) après que la conversion des nations sera accomplie (Rm. XI, 25-26). L'on peut comprendre la nécessité d'une pensée qui se fonde sur le principe de l'universalité de la loi de l'esprit, c'est-à-dire sur l'unité de l'impératif propre à toute conscience humaine. Si les Hellènes reçoivent seuls « la vérité de l'évangile » (Ga. II, 14), celle-ci ne peut prétendre à une valeur absolue. Il ne s'agirait alors que d'un renversement d'alliance qui ferait du dieu paulinien le dieu des nations, comme Yhwh lui-même fut le dieu des Hébreux. Non seulement l'universalité du Seigneur n'est pas acquise, mais encore la question reste posée de savoir lequel est le vrai Dieu.
Yhwh-Elohim fonde son universalité en tant que créateur du monde (Gn. I, 1 ; II, 4). Mais il est aussi le dieu de son peuple. Un peuple qu'il a créé, plus qu'il ne l'a choisi (Gn. XII, 2-3). Il lui donne sa loi, trace ses frontières, le rassemble et le mène dans les combats qui le constituent. Le Testament de Moïse affirme une conviction : « (Le Seigneur) a créé le monde pour son peuple. » (Test. Moïse I, 12). L'universalité se rétablit en l'annonce qu'Israël doit espérer la venue du Messie qui établira le règne de l'unique Seigneur sur l'ensemble des nations et la création entière (voir Is. II, 1-5) (Mi. IV, 1-5).
La proposition universelle d'un dieu créateur, se retrouve chez Paul (Rm. I, 20). Toutefois, dans son idée, le concept de création divine perd sa réalité matérielle et charnelle. Paul ne tient Dieu responsable ni des lois de l'incarnation, ni des lois de la matière (Ibid. VIII, 20-21). Il lui prête au contraire la volonté de dématérialiser la terre et de désincarner l'homme (1 Co. XV, 50). Le dieu de Paul ne prétend nullement ordonner la vanité du monde ou gérer l'éphémère. Il ne peut donner un sens à l'histoire. Il ne cherche jamais à corriger son œuvre, mais à s'en ressaisir. Il envoie le Christ dans le règne de l'égarement et de la perversion des hommes, avec l'unique intention de clore l'éon qui lui a échappé dans les cieux inférieurs de la chute (Ibid. 22, 45). Le Seigneur ne domine que l'élément spirituel comme seule réalité (Ibid. 50). Il abandonne la matière à son anéantissement (Ibid. 53). L'idée que Dieu est le Premier Principe est préservée. La faiblesse d'Adam en son désir de connaître le bien et le mal (voir Gn. II, 17) le précipitèrent dans la dualité d'un nouveau monde concrété par le grand bruit de la chute et les ondes cosmiques.
La seconde proposition de l'élection d'Israël, en tant que peuple de Dieu, est également reprise par Paul. Elle se trouve néanmoins corrigée. L'Israël de l'histoire, cheminant vers sa terre promise et la gloire de Sion, n'est plus « l'Israël de Dieu » (Ga. VI, 16) parce que, précisément, il refuse la porte ouverte qui le libérerait de l’erreur de l'histoire, de la chair et du sang. « Les élus de Dieu » (Rm. VIII, 33) sont désormais les convertis pauliniens qui vivent en conscience la fin des temps annoncée par les prophètes. Ils ont reconnu l'Oint de Dieu. « Les arrhes de l'esprit » les arrachent déjà à la fatalité de la génération d'Adam (2 Co. V, 5). L'élection paulinienne n'est plus « selon la chair » (1 Co. X, 18).
Si les Hébreux gardent leur dieu, il devient nécessairement l'adversaire du dieu paulinien dont l'universalité se veut parfaite, tant du point de vue de la création que de l'élargissement à tous les hommes des critères d'élection.
« Car il n'y a pas de différence entre Juif et Grec. Il est le seigneur de tous, riche envers tous ceux qui l'invoquent. » (Rm. X, 12)
Le Seigneur-Yhwh a un territoire à défendre. Celui-ci constitue, plus qu'un engagement personnel, le lieu de sa propre demeure. Yhwh-Elohim n'est Seigneur que parce qu'il a un peuple qui le fait tel, qui lui ressemble et accepte tant bien que mal de ployer sous le joug de la loi qu'il lui impose. Il ne peut laisser Paul proclamer qu'il n'y a point de différence entre Hébreux et Hellènes, ni laisser réduire à néant la puissance et le règne qu'il détient dans le siècle (2 Co. IV, 4) : « Quand le Très-Haut répartissait les nations, quand il disséminait les fils d'Adam, il dressa les bornes des peuples d'après le nombre des fils d'Israël, car le lot de Yhwh, c'était son peuple, Jacob était sa part d'héritage... » (Dt. XXXII, 8-9). Ainsi faut-il entendre l'égalité des hommes devant Dieu comme une contradiction fondamentale par rapport à l'existence liée d'Israël et de son dieu. Il ne peut être dit : « Ecoute, Israël : Yhwh, notre Dieu [et Dieu des Grecs,] est le seul Yhwh » (Dt. VI, 4), car Yhwh ne peut être autre que lui-même sans ne plus être (voir Mekhilta de R. Ismaël XV, 2 ; Sifré Dt. XXXIII, 3). C'est pourquoi l'on peut dire que, dès lors que le dieu de Paul n'a point éliminé Yhwh (et inversement), deux dieux s'opposent irréductiblement.