Pour mieux comprendre l’édification du dieu Yhwh dans l’imaginaire juif et judéo-chrétien. Pour voir en perspective les dieux sauveurs des angoisses humaines et porteurs de toutes leurs passions. Pour comprendre que la connaissance vraie est hors du domaine d’un dieu créateur et faiseur de l’histoire.
Sources archéologiques : Göttinnen, Götter und Gottessymbole - Othmar Keel et Christoph Uehlinger – Fribourg 1992
Le signe en forme d’oméga qui symbolise le vagin vient
de Basse Mésopotamie. La déesse nue constitue également
un motif typique. Elle porte de grandes oreilles, comme pour signifier
qu’elle est prête à entendre celui qui lui parle.
Elle est fréquemment représentée entre deux rameaux
de palmier. Nettement souligné, le sexe associe la déesse
nue à la fertilité. Elle est la puissance mystérieuse
qui fertilise la terre. Le lion constitue l’un de ses attributs
animaliers. Il souligne le côté majestueux et hautain ;
tandis que la colombe témoigne de la tendresse et du penchant
de la déesse à l’amour. Les figurines de colombes
en argile ont été retrouvées en aussi grand nombre
que les figurines de déesses. Les ailes déployées,
les colombes sont les messagères de l’amour de la divinité.
Un petit édifice (daté 1750-1650 av JC) a été
mis à jour près du lac de Génésareth. Il
présente la caractéristique d’un alignement d’une
dizaine de petites massebôt (stèles). L’une des pierres,
grossièrement taillée en forme de femme nue, montre clairement
que les pierres dressées n’évoquent pas les seules
divinités masculines. Un moule en calcaire atteste que les dieux
en armes étaient produits en série.
Le dieu de l’orage se présente vêtu d’un pagne et portant une coiffure pointue. D’une main, il lève une massue, de l’autre, il tient une hache et une corde passée au cou d’un taureau couché. On voit une scène figurant la rencontre du dieu de l’orage avec la déesse qui manifeste ses dispositions en écartant son vêtement. On a aussi un motif secondaire où le dieu est associé à une vache qui allaite, c’est-à-dire à un symbole de fécondité. La silhouette anthropomorphe à tête de faucon se retrouve fréquemment sur les scarabées. Elle caractérise clairement le dieu-roi, c’est-à-dire, Horus. Le fait que ce dieu tienne un rameau ou une fleur à la main, en guise de sceptre, laisse penser qu’il a emprunté ces attributs au dieu cananéen de l’orage. Une telle confusion a bien existé à l’époque des Hyksos en Egypte. Un scarabée qui représente un roi portant la couronne de Basse Egypte, avec une massue dans la main droite et un rameau dans la main gauche, a été mis à jour dans le delta oriental du Nil à El-Daba (emplacement d’Avaris, la capitale des Hyksos).
Le temple de Megiddo, également fondé à la fin du Bronze moyen, semble avoir fait l’objet de quatre reconstructions. On y retrouve des figurines et des pendentifs stylisés de la déesse nue souvent représentée entourée de ses attributs : le palmier, le caprin, le lion et la colombe. Une icône cultuelle (en bronze plaqué d’or) représente un dieu assis portant une haute coiffure. La fleur qu’il tient dans la main l’apparente au dieu de l’orage. Baal-Hadad est, au Bronze récent, ce dieu de l’orage régnant dans la grande plaine d’Isréel. Une figurine, retrouvée dans une tombe, tient une arme de poing levée et un bouclier : les attributs de Reshef (le dieu égyptien de la santé). Au cours de la transition du Bronze moyen au Bronze récent, les déesses nues sont peu à peu remplacées par les dieux guerriers tels Baal et Reshef. La thématique de l’érotisme et de la fécondité cède la place aux représentations guerrières. Le char de combat devient le symbole dominant de la guerre. La première représentation que l’on en possède date du règne de Thoutmosis 1er. L’image du pharaon au combat provient de la XIXe dynastie (1295 – 1286 av JC). Un célèbre ivoire montre un prince sur son char revenant vainqueur du combat ; deux Shasou nus (nomades asiatiques) marchent devant, attachés aux chevaux. Au-dessus, le disque solaire ailé manifeste la bénédiction divine. Parallèlement aux scènes guerrières, on trouve également des scènes festives. Tandis que, sur les représentations du Bronze moyen, les femmes paraissent dans leur nudité pour l’amour, au Bronze récent, elles ne figurent plus que comme servantes. La thématique religieuse est passée de la rencontre avec la déesse au triomphe de l’ennemi.
En ce même lieu, on a découvert une figuration de Baal-Seth
paré de deux cornes de taureau, un long ruban pendant à
sa coiffure. D’une main il saisit un serpent cornu, de l’autre,
il brandit un cimeterre. Sur une représentation différente,
il porte des ailes de façon égyptienne et brandit une
lance pour triompher du serpent cornu. En Egypte, le serpent symbolise
les menaces des ténèbres nocturnes ; en Canaan, il figure
les assauts de la mer. Par l’association de Baal et de Seth en
lutte, le serpent devient le symbole de tous les dangers. Le dieu qui
le combat devient le dieu sauveur. L’expression « aimé
de Rê » se trouve sur des scarabées égyptiens
représentant le dieu triomphant du serpent. Les représentations
de Baal luttant avec le lion montrent que le combat de Baal-Seth ne
se limite pas à une seule puissance néfaste. Il s’agit
d’un combat contre toutes les adversités. De sa fusion
avec Seth, Baal, le dieu de la fertilité de la terre, acquiert
donc le titre de Sauveur.
A côté des dieux égypto-cananéen tels que Reshef et Baal-Seth, plusieurs dieux strictement égyptiens sont présents en pays de Canaan, plus particulièrement dans le sud. Amon est bien représenté à Lachis depuis la fin de la XVIIIe dynastie (début XIIIe s. av JC), ainsi que Rê-Horakhty (Horus de l’horizon), représenté avec une tête de faucon, et Ptah. Au XIIIe s. av JC, ces divinités sont ici très populaires. La forme humaine qui prédomine sur les sceaux-amulettes égyptiens du Bronze récent, particulièrement dans le sud du pays de Canaan, est celle du pharaon. Elles montrent comment, dès l’enfance, l’élu des dieux est assis en vainqueur sur les neuf arcs (désignation traditionnelle des pays asiatiques ennemis) et comment il est conduit par deux dieux, généralement Amon et Rê-Horakhty. A l’amour que les dieux lui témoignent, il répond par sa filiale loyauté.
Les guerres et les troubles placent les divinités masculines au premier plan aux XVe et XIVe s. av JC. Cette tendance se renforce au XIIIe siècle, en même temps que l’influence égyptienne s’accroît. Le loyalisme est mis en valeur dans un certain nombre de représentations, où l’on voit vizirs et fonctionnaires égyptiens rendre hommage au pharaon ou adorer Amon. Une scène habituelle montre le pays de Canaan aux pieds du pharaon, au terme d’une campagne. Par sa puissance, le souverain asservit les peuples asiatiques avec la bénédiction d’Amon, de Rê-Horakhty ou d’une divinité autochtone. Très présent en pays de Canaan dès la XVIIIe dynastie (1539 – 1295 av JC), Amon occupe la première place sous le règne de Ramsès II (1279 – 1213 av JC). Généralement représenté en sphinx-bélier ou par une simple tête de bélier, plutôt que de façon anthropomorphe, Amon jouit d’un culte intense à Betsân.
A partir de 1250 av JC env., de nombreuses petites installations non fortifiées se constituent dans la région montagneuse. Le Premier âge de fer est une période de transition, caractérisée par de larges chevauchements. Au début du XIIe s. av JC, les Philistins commencent à construire des cités à Ashdod et à Acron. Mais Lachis, Megiddo et Betsân sont encore solidement tenues par les Egyptiens, du moins sous Ramsès III (1184 – 1153 av JC). Gaza est la capitale provinciale.
Nous avons vu que l'attraction du dieu égyptien Seth sur le dieu cananéen Baal est parvenue jusqu’à les confondre. A côté d’Amon, plusieurs représentations montrent Baal-Seth en dieu ailé portant un bonnet à cornes, parfois debout sur un lion, et un autre dieu, tout aussi dominateur, sur une bête cornue. Le lion n’est pas ici un attribut animalier, mais l’adversaire qui s’identifie à Môt, le dieu cananéen de la sécheresse et de la mort. Nous avons vu que Baal-Seth apparaît, au Bronze récent, en lutte avec le serpent, mais également avec le lion. Alors qu’au Bronze moyen l’orage et la fertilité caractérisent Baal, en tant que dieu principal de Canaan, au Bronze récent, sa fusion avec Seth privilégie ses aspects guerriers. Baal-Seth combattant le mal est mis en relation avec le dieu soleil dont il devient le confident. Au Premier âge de fer, la relation entre Baal-Seth et Amon est établie. L’autre dieu debout sur la bête cornue, dont nous avons indiqué la présence, est identifié à Reshef sur la gazelle. L’une des variantes de la thématique du triomphe et de la domination figure une divinité qui soulève un ou deux crocodiles ou encore deux scorpions par la queue. Il s’agissait primitivement de l’enfant sauveur Horus. Comme toutes les représentations d’animaux, le taureau revêt une signification polysémique. Seul le contexte permet de connaître le sens du symbole. En tant qu’attribut animalier du dieu de l’orage, le caractère combatif du taureau peut être aussi marqué que celui de la fécondité.
Les deux représentations majeures du système religieux
du Premier âge de fer, Baal-Seth et Reshef, ont, avec l’archer
qui tire sur les caprins, les lions et les hommes, leur correspondant
dans le système symbolique politique et social. Les traditions
égyptiennes se perpétuent avec vitalité, particulièrement
sur la plaine côtière du sud. Cela n’empêche
pas la disparition de Ptah (le dieu créateur de Memphis) et de
plusieurs traits caractéristiques, tels le sphinx-bélier
de la glyptique d’Amon, la tête de faucon d’Horus
triomphant, l’uræus et la couronne de l’archer. L’image
du fonctionnaire rendant hommage ou du pharaon en adoration devant une
divinité, si courante au Bronze moyen, est abandonnée.
L’unique motif du Bronze récent à survivre au Premier
âge de fer sous sa forme authentiquement égyptienne est
celui du roi qui terrasse les ennemis.
Le système des symboles iconographiques du Premier âge de fer signale deux caractères forts et distincts. Le premier valorise la puissance et la domination. Pour les anciens nomades qui colonisent maintenant les montagnes, la dimension religieuse de Baal se manifeste dans la fondation des nouvelles cités. Elles portent des noms, que nous retrouvons dans les textes bibliques, tels que Baal-Sephon (Ex. XIV, 2), Baal-Meon (Nb. XXXII, 37), Baal-Gad (Jos. XI, 17), Baalath-Beër (Jos. XIX, 8), Baal-Perasim (2 S. V, 20), Baal-Hasor (2 S. XIII, 23), Baal-Shalishah (2 R. IV, 42), Baal-Amon (Ct. VIII, 11). Le second caractère de la symbolique réside dans le désir de fécondité marqué par les femelles en train d’allaiter.
Les textes bibliques décrivent Salomon comme un grand roi d’Israël
qui entretient des relations commerciales avec tous les peuples alentours
(1 R. IX-XI). Or, un siècle de fouilles archéologiques
(qui, malheureusement, ne peuvent être entreprises sur les lieux
même du temple de Jérusalem) ne confirme aucun des récits
traditionnels sur la monarchie unifiée ; ni sur les règnes
de Saül (env. 1020 – 1000 av JC), de David (env. 1000 –
960 av JC) et de Salomon (env. 960 – 930 av JC). Si l’âge
d’or de la monarchie israélienne s’est bien déroulé
selon les récits bibliques, il ne dura qu’un siècle.
La division entre le royaume d’Israël au nord et celui de
Juda au sud suit la mort de Salomon et la campagne du pharaon Shéshonq
Ier (XXIIe dynastie) en 925 av JC. Les relations et les échanges
culturels et commerciaux entre Israël et la Phénicie (1
R. V, 15-26 ; VII, 13-14 ; IX, 10-14 ; X, 22), d’une part, et
l’Assyrie (I R. X, 28), d’autre part, exercent une forte
influence culturelle qui, toutefois, ne suscite pas une véritable
reprise des traditions cananéennes. Salomon est également
proche de l’Egypte et du pharaon (probablement Hor-Psousennès
II -959 – 945 av JC-), dernier souverain de la XXIe dynastie),
dont il épouse la fille. Après avoir pris Gezer aux Cananéens,
le pharaon donne la cité en dot à sa fille ; Salomon la
fait reconstruire (1 R. IX, 16-17).
Au Premier âge de fer A, le Maître des crocodiles égyptien
suscite la forme asiatique du Maître des scorpions. Une dissociation
plus nette du modèle égyptien s’exprime avec le
Maître des autruches, dont le motif se perpétue dans l’intérieur
du pays. Le Maître des autruches est la figure dominante de l’iconographie
sigillaire du Deuxième âge de fer A. L’autruche amène
à rechercher les origines de la divinité dans la steppe
redoutable, hors des terres cultivées de Canaan. C’est
de là que surgit également le dieu Yhwh, originaire du
domaine des Shasou au sud-est du pays : « Yhwh est venu du Sinaï
et de Séïr il s’est levé pour eux, il a resplendi
depuis le mont Paran et il est arrivé à Meribah de Qadès.
» (Dt. XXXIII, 2).
Nous avons vu la déesse Astarté représentée
debout sur un cheval cuirassé au Bronze récent. Sur les
amulettes-sceaux du Deuxième âge de fer A, le cheval devient,
à la fois, son animal de selle et la représentation qui
la supplée, selon la tendance qui écarte les représentations
anthropomorphes. Le cheval est aussi associé au scorpion, à
la colombe, à l’arbre ou au rameau, qui sont précisément
les attributs de la déesse. En tant que Maîtresse des animaux,
elle n’est jamais représentée que sur le lion ou
sur le cheval de guerre. L’attribut animalier n’efface pas
la relation à la végétation, dominante pour la
déesse au rameau du Bronze moyen et du Bronze récent.
Au Deuxième âge de fer A, la déesse en relation
avec la végétation se retire finalement, au profit de
l’arbre stylisé. Il devient son parfait symbole ; tandis
que toute autre représentation anthropomorphe de déesses
s’accompagne d’animaux.
Le taureau combattant devient une image symbolique courante. Une scène
figurée sur un scarabée montre le taureau renversant le
lion sous le cercle solaire et le croissant lunaire. Il s’agit
là d’un combat entre deux puissances divines. Le taureau
évoque probablement Baal, le dieu de l’orage, et le lion
vaincu, Môt, le dieu de la sécheresse. C’est un exemple
de la tendance à figurer les divinités par leurs attributs
animaliers ou par les symboles célestes. La représentation
de Yhwh, le dieu guerrier, sous la forme de deux veaux d’or que
Jéroboam Ier (roi d’Israël -930 – 910 av JC-)
fait placer dans les sanctuaires de Béthel et de Dan, peut se
rattacher à cette nouvelle tradition. Une nette influence de
l’Assyrie se perçoit dans les représentations du
croissant lunaire orné des deux houppes pendantes qui désignent
le dieu lunaire de Haran (connu en Canaan dès le Xe siècle).
Le recul des représentations anthropomorphes et la multiplication
des symboles astraux signale la fin de la domination religieuse égyptienne
et la nouvelle orientation culturelle d’Israël vers la Phénicie
et l’Assyrie.
Les icônes de bénédiction, qui représentent
les troupeaux et les animaux allaitant ou les scènes de caprins
devant l’arbuste évocateur d’un bon pâturage,
rejoignent les formules de bénédiction et de malédiction
de Dt. VII, 13 ; XXVIII, 4, 18, 51, quand la fécondité
du troupeau traduit la bénédiction du dieu Yhwh, Les entités
représentant la relation à la nature et à l’élevage
se libèrent de la déesse et deviennent objets de vénération
par elles-mêmes. Un ensemble de scarabées typiques du Deuxième
âge de fer A, découvert au cœur d’Israël,
porte un arbre stylisé flanqué de deux formes humaines
aux bras levés en signe d’adoration. Il s’agit d’une
indication claire concernant le culte des arbres sacrés en Israël
et en Juda aux Xe et IXe s. av JC. L’association constante de
la déesse avec le palmier, au Bronze moyen et au Bronze récent,
appelle à voir la déesse Ashérah et le culte des
Ashérim (les attributs de la déesse) en ces représentations
Une image montre un personnage assis sur un trône. Il semble représenter
le dieu El devant son Ashérah, en présence d’un
adorateur. L’arbre connaît diverses variantes, mais il s’agit
habituellement d’un palmier dont les racines sont figurées
en une sorte de bulbe. Deux textes bibliques présupposent l’usage
d’enterrer les morts sous des arbres sacrés : Déborah
(la nourrice de Rébecca) « sous le Chêne qu’on
appela du nom de Bakouth (Pleur) » (Gn XXXV, 8) ; Saül et
ses fils « sous le Tamaris » (1 S. XXXI, 13) ou «
sous le Térébinthe » (1 Ch. X, 12). Si la coutume
est liée à l’idée de la terre comme sein
maternel fécond, elle suppose que le défunt jouit de la
vitalité de l’arbre. Les tombes patriarcales sont disposées
près des arbres sacrés de Sichem et de Membré.
La tradition biblique associe plusieurs sanctuaires israéliens
à des arbres sacrés : le Chêne de Moréh (Gn.
XII, 6) et le Térébinthe à Sichem (Gn. XXXV, 4)
; les Chênes de Mambré (Gn. XVIII, 1) ; le Tamaris à
Bersabée (Gn. XXI, 33) ; le Térébinthe à
Ophrah (Jg. VI, 11) ; le Chêne de Saanaïm, à Qadès
(Jg. IV, 11).
Nous avons vu que les nombreux temples des cités qui existent
au Bronze récent ne sont que ruines au Premier âge de fer
A, du moins au cœur d’Israël. Le culte officiel du royaume
se concentre sur un petit nombre de temples situés à Béthel,
à Dan, à Jérusalem, un peu plus tard à Samarie.
Les cultes domestiques comblent les vides. Ils sont dédiés
au dieu Baal et à la déesse Ashérah. On a trouvé
un support cultuel en forme de maquette de sanctuaire à Taanak.
Il comporte plusieurs registres superposés. Lions et chérubins
alternent comme bêtes de garde. Le registre supérieur est
orné de deux volutes tournées vers l’extérieur,
à côté des supports à offrandes. Le registre
inférieur figure une Maîtresse des lions nue. Le troisième
registre, en relation avec la déesse, représente l’arbre
stylisé flanqué de deux lions et de deux caprins qui se
hissent sur leurs pattes arrières pour grignoter le feuillage.
Le deuxième registre ne comporte qu’un seul couple de chérubins
qui entourent une ouverture frontale. L’on comprend la succession
des quatre registres ou des quatre étages au sens d’une
sacralité qui s’élève du chaos maîtrisé
au cosmos ordonné. Si la Maîtresse des lions indique le
domaine extérieur du désert, les chérubins ouvrent
l’accès au domaine sacré, dans lequel se retrouve
une Ashérah sous la forme de l’arbre dispensateur de bénédictions.
Le registre supérieur représente le saint des saints ou
le sanctuaire lui-même. Le cheval qui va l’amble y figure
l’attribut animalier de la déesse Anat ou Astarté,
réceptrice de l’offrande. Le disque solaire ailé
symbolise le ciel qui couronne le sanctuaire. Il exprime la réunion
du temple terrestre avec la sphère céleste.
Parmi les fragments de supports cultuels, il faut noter la représentation d’un Shasou cananéen (nomades connus dans la période du Bronze récent), les cheveux coiffés vers le haut et la barbe pointue. En rapport avec le culte domestique, de nombreuses figurines représentent une femme nue ou vêtue, qui tient un disque contre la poitrine. Il s’agit probablement d’un tambourin. Dans les textes bibliques les femmes jouent de cet instrument, lors de célébrations de victoires militaires : « Miriam, la prophétesse, sœur d’Aaron, prit le tambourin en sa main, et les femmes sortirent derrière elle avec des tambourins et en chœur. » (Ex. XV, 20). Il semble que les adoratrices au tambourin remplacent progressivement les représentations de la déesse nue.
Le Saint des Saints ou « la Maison intérieure » (1
R. VI, 16, 19) est présenté comme un cube de bois mesurant
vingt coudées de côté et recouvert d’or, suivant
la tradition égyptienne des chapelles divines. Il semble finalement
que le temple réponde à un ensemble de traditions : phénicienne,
assyrienne et égyptienne. Primitivement, les deux chérubins
protégeaient le Propitiatoire (le couvercle de l’Arche)
en étendant leurs ailes au-dessus, tout en se faisant face (Ex.
XXV, 18-20). Dans le temple de Salomon, ils sont placés au centre
du sanctuaire, l’un à côté de l’autre.
Leurs ailes déployées mesurent dix coudées d’envergure.
Elles se touchent (la gauche et la droite), sans qu’il soit précisé
qu’elles protègent l’arche. Il semble plutôt
que les chérubins forment de leurs ailes un trône comme
nouveau symbole de la présence du dieu invisible, en correspondance
avec l’architectonique du temple. Yhwh était primitivement
représenté par sa propre parole déposée
dans l’Arche sacrée. Il l’est désormais par
les chérubins qui deviennent les attributs ou les symboles de
sa présence. Le motif de chérubins ou de sphinx porteurs
de trônes se retrouve à Megiddo au Bronze récent
et au début du Premier âge de fer A. Mais il est vraisemblable
qu’une telle représentation vienne de Phénicie,
où des trônes de chérubins sont attestés
à partir de la fin du IIe millénaire. On possède
une image du roi Ahiron de Byblos, contemporain de Salomon, siégeant
sur un trône de chérubins. Créatures hybrides, les
chérubins réunissent le meilleur des créatures
: le corps du lion, les ailes de l’aigle, la tête de l’homme.
Ces êtres mythiques accordent leurs qualités au dieu suprême
ou au roi tout-puissant qui siège sur le trône qu’ils
portent ou qu’ils forment de leurs ailes étendues. Les
ailes extérieures relevées, les chérubins assurent
le rôle de gardiens. C’est avec cette fonction qu’ils
apparaissent sculptés en relief sur les murs de la Maison, à
l’entrée du sanctuaire et à l’entrée
du temple.
Au Bronze moyen, le lion est un attribut de la déesse. Au Deuxième
âge de fer A, il est repris comme attribut animalier de Baal-Seth.
On retrouve les lions, sculptés avec des bovins et des chérubins
sur les bases qui soutiennent les dix bassins d’airain, dans le
rôle de gardiens contre les mauvais esprits. « La Mer d’airain
qui avait dix coudées de bord à bord » (1 R. VII,
23) est un vaste bassin, en cercle parfait bordé de coloquintes,
qui symbolise la mer originelle. Il est soutenu par douze bovins alignés
par trois en direction des quatre points cardinaux, qui renvoient indubitablement
au dieu de l’orage, tel Baal-Hadad. Les représentations
de palmes et de fleurs sur les murs du temple, les vantaux des portes
et les objets du culte, n’ont plus la force symbolique de la vie
et de fertilité qu’elles revêtaient en tant qu’attributs
de la déesse. Elles apparaissent comme une mise en relation avec
les puissances naturelles, pour exprimer la grandeur du dieu suprême,
garant de l’ordre de la nature. Devant le vestibule se dressent
deux colonnes, nommées Yâkîn (il rend ferme) et Boaz
(par lui la force), dont les chapiteaux en forme de lotus et ornés
de grenades empruntent à l’Egypte les symboles de la régénération.
Chaque élément constituant le décor du temple de Jérusalem trouve une correspondance avec la tradition iconographique cananéenne du Bronze récent et les créations artistiques d’Assyrie, de Phénicie et d’Egypte. Les descriptions qui nous sont données par 1 R. VI-VII sont vraisemblables. Dans le Saint des Saints, au cœur même du système symbolique de la religion royale, sous la monarchie unifiée d’Israël, le trône de chérubins signale l’idée d’une divinité royale. Celui qui demeure dans le temple et siège sur ce trône ne peut être imaginé autrement que souverain tout-puissant.
L’influence de l’Egypte est restée très importante
durant le Deuxième âge de fer A. Shéshonq Ier s’intéresse
au pays de Canaan. Il évite la montée en puissance de
Jérusalem et accueille les adversaires de Salomon : Hadad l’Edomite,
à qui il donne pour femme une de ses belles-sœurs (1 R.
XI, 19), et Jéroboam, l’Ephraïmite (1 R. XI, 40).
Peu après la mort de Salomon, Shéshonq Ier entreprend
une campagne victorieuse contre le royaume de Juda : « En la cinquième
année du roi Roboam, il advint que le roi d’Egypte Shéshonq
monta contre Jérusalem. Il prit les trésors de la Maison
de Yhwh et les trésors de la Maison du roi, il prit tout. »
(1 R. XIV, 25). Les faits sont confirmés par la liste des villes
conquises gravée sur les murs du temple d’Amon à
Karnak et par un fragment d’une stèle de victoire, portant
les cartouches du pharaon, trouvé à Megiddo (de la tribu
de Manassé). La campagne de Shéshonq 1er n’épargne
pas le royaume d’Israël, qui semble avoir manqué de
fidélité à l’Egypte. Lorsque Jéroboam
fait réaliser deux veaux d’or pour les placer l’un
à Béthel et l’autre à Dan dans le but de
casser l’attrait du temple de Jérusalem, les paroles qui
lui sont prêtées en appellent, en effet, à la tradition
de l’Exode, dans le sens d’une propagande anti-égyptienne
: « Voici tes dieux, Israël, qui t’ont fait monter
du pays d’Egypte. » (1 R. XII, 28).
Le lion n’est plus considéré comme un attribut de
la déesse. S’il ne représente pas le pharaon lui-même,
il est un animal gardien. Les lions couchés qui ornent le lit
du roi assyrien Assourbanipal, en son palais de Ninive, gardent leur
maître dans le sommeil. On peut penser que Yhwh a pu être
vénéré à travers le symbole du lion protecteur.
L’avertissement prophétique de Yhwh, qui se retourne lui-même
contre Israël tel un lion ou un félin rugissant, doit revêtir
une force saisissante pour les Israéliens auxquels s’adresse
la réprobation (Os. V, 14 ; XIII, 7 ; Am. III, 8). Dans des attitudes
diverses, le lion constitue un caractère de la glyptique araméenne
et israélienne du VIIIe s av JC. Bien que le dieu Yhwh ait pu
être représenté par l’image du lion rugissant
(Am. I, 2 ; Jl. IV, 16), on ne peut pas dire que le lion constitue un
attribut se substituant au dieu.
Le Premier livre des rois laisse entendre que l’adoration de l’idole du veau d’or comme représentation de Yhwh est une innovation introduite par Jéroboam Ier en royaume d’Israël : « Le roi tint conseil et fit deux veaux d’or, il dit à ceux-là : Voici assez longtemps que vous montez à Jérusalem. Voici tes dieux, Israël, qui t’ont fait monter du pays d’Egypte ! Il mit l’un d’eux à Béthel et il plaça l’autre à Dan. Ce fut une occasion de péché, car les gens marchèrent jusqu’à Dan en avant de l’un d’eux. » (1 R. XII, 28-30). Nous avons vu que la déclaration du roi affirme la détermination d’Israël de se dégager de l’influence égyptienne. Elle contient aussi la volonté de se libérer de Juda et de l’attrait religieux de Jérusalem. Le choix de Jéroboam Ier ne doit pas être considéré comme une nouveauté ; d’autant que les représentations de bovins au Deuxième âge de fer sont plus traditionnelles en Juda qu’en Israël. Le veau d’or semble reprendre une idole existant à Béthel depuis le Bronze récent et qui pourrait avoir été associée à la vénération du dieu El, comme le montre la présence de l’Ashérah (2 R. XXIII, 15). Nous considèrerons la relation avec le veau d’or de la rébellion à Moïse dans le Sinaï dans une étude ultérieure.
Les fouilles de Tell Der ‘Alla, sur un site de la moyenne vallée
du Jourdain que l’on identifie souvent avec Soukkot (Ex. XII,
37), ont mis à jour des fragments de crépi portant des
graffiti desquels une seule phrase a réellement pu être
reconstituée : « Ecrit de Balaam, le fils de Beor, l’homme
qui voit les divinités. » (voir Nb. XXII-XXIV). Plusieurs
divinités apparaissent dans les graffiti. Shaddaï, Shagar
et Ashtar sont mentionnés en association avec la fécondité
des animaux. Un premier récit fragmentaire expose que certaines
divinités se dévoilent à Balaam pour lui remettre
un message qui semble provenir du dieu El. Le voyant passe la matinée
dans le jeûne et les épanchements, avant de faire connaître
qu’une catastrophe se prépare. Dans l’assemblée
céleste, les Shaddaïm (pluriel de Shaddaï) ont vainement
imploré la miséricorde de la déesse. Balaam appelle
ses contemporains à changer de comportement, sous peine que le
monde ne se trouve retourné. Un second récit, beaucoup
moins lisible, donne un rôle actif au dieu El. Datés de
la fin du IXe s. av JC, ces graffiti ont été écrits
par une personne qui vouait un culte au dieu El, à la déesse
Shagar, dont elle concevait l’intervention directe dans l’existence
humaine, et aux Shaddaïm comme intercesseurs dans la piété
familiale.
En dépit de leur fragilité, ces textes écrits dans une langue proche de l’araméen, témoignent que le culte de El, à la fin du IXe s. av JC à Soukkot, n’a pas de relation avec le culte de Yhwh et qu’une divinité féminine est vénérée à son côté. Il ne s’agit pas d’une région alors sous contrôle israélien. En l’an 841 av JC, les territoires situés à l’est du Jourdain passent sous l’autorité de Damas (2 R. X, 32) ; de sorte qu’ils se trouvent coupés de l’influence d’Israël et du culte de Yhwh. Ce n’est que vers la fin du règne de Jéroboam II (783 – 743 av JC) que le royaume du nord semble s’être à nouveau élargi à Galaad. Il n’empêche que des croyances comparables ont pu marquer la piété familiale dans le sud de Juda et sur les montagnes de Samarie. Souvenons-nous que dans sa volonté de créer l’unité divine, le compilateur de la Genèse écrit : « Yhwh apparut à Abraham et lui dit : Je suis El-Shaddaï ! » (Gn. WVII, 1).
Trois inscriptions sur les jarres utilisent l’expression mystérieuse
« Yhwh et son Ashérah » dans la formule de bénédiction.
En plusieurs passages des textes bibliques, l’Ashérah semble
bien désigner une déesse : Maakhah, fille d’Absalom
et grand-mère d’Asa, roi de Juda (911 – 870 av JC),
fut destituée « du titre de Grande Dame parce qu’elle
avait fait une horreur pour Ashérah. », en relation avec
les rituels de prostitution sacrée ; « Asa abattit cette
horreur et la brûla dans le torrent du Cédron. »
(1 R. XV, 11-13). Achab, roi d’Israël (874 – 853 av
JC) rassembla les prophètes de Baal « et les prophètes
de l’Aschérah, au nombre de quatre cents » sur l’injonction
du prophète Elie (1 R. XVIII, 19). Manassé, roi de Juda
(687 – 642 av JC) « fit une Ashérah comme celle qu’avait
faite Achab, le roi d’Israël. » Il mit « l’idole
de l’Ashérah qu’il avait faite » dans la Maison
de Yhwh (2 R. XXI, 4, 7). Josias, roi de Juda (640 – 609 av JC),
« fit sortir l’Ashérah de la Maison de Yhwh en dehors
de Jérusalem, au torrent du Cédron, il la fit brûler
dans le torrent du Cédron et la réduisit en cendre, il
en jeta la cendre sur les tombeaux des fils du peuple. Il démolit
les maisons des prostituées sacrées qui étaient
dans la Maison de Yhwh et où les femmes tissaient des lins pour
l’Ashérah. » (2 R. XXIII, 6-7). L’article «
l’ » semble exclure que le terme Ashérah soit un
nom propre. Mais l’addition de l’article peut parfaitement
venir de l’intention dévalorisante du rédacteur
P (Sacerdotal). Nous retrouvons de même l’article qui détermine
« le » Baal (Jg. II, 13) ou « les » Baals (Jg.
II, 11) avec l’intention de réduire les divinités
cananéennes à de simples objets : « Ils abandonnèrent
Yhwh et ils servirent le Baal et les Astartés. » (Jg. II,
13).
Les textes bibliques ne donnent aucune description de l’Ashérah ; nous déduisons seulement qu’elle est en bois. En Dt. XVI, 21, l’Ashérah est rapprochée d’un arbre : « Tu ne planteras point pour toi d’Ashérah, ni d’aucun arbre, à côté de l’autel de Yhwh, ton Elohim, que tu auras fait pour toi, et tu n’érigeras pas pour toi de stèle que déteste Yhwh, ton Elohim. » (Dt. XVI, 21-22). Le symbolisme traditionnel, qui relie la déesse et l’arbre de la fertilité, nous dévoile probablement l’Ashérah. Elle est l’image occultée, mais très présente de la déesse. Associée à Yhwh, elle l’est également au lieu de culte où celui-ci est vénéré. C’est vraisemblable par son identification à El que Yhwh a recueilli le symbolisme cultuel de l’Ashérah. Dans le domaine de l’iconographie, nous avons noté, que, depuis le Premier âge de fer, les attributs de la déesse se sont affranchis au point de se substituer à elle-même. La représentation de l’arbre stylisé établit la relation en dehors de toute représentation de la déesse. Il peut toutefois perdre le symbolisme de fertilité pour s’attacher à celui de puissance. Dans la variance des détails floraux, il se trouve gardé par des sphinx ou des chérubins ou adoré par des êtres humains. Aussi bien protégé que le trône royal, l’arbre représente le domaine de la Maison du dieu ou du roi. Il symbolise le bel ordonnancement du règne. Ce sont les formes de l’arbre stylisé, qui se sont subtilisées à la déesse au point de répondre à son propre nom, que revêt probablement l’Ashérah de Yhwh. En Israël et en Juda, au Deuxième âge de fer B, la relation de « Yhwh et son Ashérah » ne semble pas devoir être entendue au sens d’une relation de couple, ni au sens du dieu et de sa parèdre. En tant qu’arbre stylisé, l’Ashérah apparaît finalement comme l’image du pouvoir de bénédiction de Yhwh lui-même.
L’ensemble des représentations de l’art phénicien
et israélien trouve une résonance dans les traditions
bibliques. Le Baal contre lequel le prophète Elie se dresse cruellement
(1 R. XVIII, 17-40) n’est plus ce dieu de l’orage du Bonze
moyen, qui entretient une relation érotique avec la déesse.
Il n’est pas le Baal guerrier du Premier âge de fer, vassal
d’un seigneur du ciel. Il est lui-même le Seigneur du ciel.
Baal Shamem, le dieu de Byblos, attesté dès le Xe s. av
JC, reçoit les attributs de l’ancien dieu de l’orage,
Baal Hadad d’Assyrie, et les qualités du mystérieux
dieu El. Certes, Baal est toujours maître du tonnerre, des éclairs
et de la pluie ; mais il est davantage le vrai souverain des immensités
célestes. Doté des mêmes attributs, prétendant
à l’identique souveraineté, Yhwh a connu une évolution
toute semblable à celle de Baal. Comme le Baal phénicien,
Yhwh devient, au Deuxième âge de fer, un dieu suprême
auréolé de l’astre solaire. Le fameux Psaume CIV,
que l’on rapproche de l’hymne d’Akhenaton (Aménophis
IV) (1344 – 1328 av JC) pour y déceler l’empreinte
de la religion du pharaon hérétique, rejoint les thèmes
phéniciens des IXe – VIIIe s. av JC. Yhwh est paré
de qualités éminemment solaires : « Yhwh Elohaï,
tu es grand, tu es revêtu d’honneur et de majesté,
enveloppé de lumière comme d’un manteau, étendant
les cieux comme une tenture, édifiant sur les eaux tes étages,
prenant les nuées pour ton char, cheminant sur les ailes des
vents, faisant des vents tes messagers, du feu dévorant tes ministres
! » (Ps. CIV, 1-4). Les qualités du dieu solaire s’ajoutent
à celles du dieu de l’orage : « Les eaux se sont
arrêtées sur les montagnes. A ta menace elles fuient, à
la voix de ton tonnerre elles se précipitent, elles gravissent
les montagnes, descendent les vallées, vers le lieu que tu leur
as fixé. » (Ps. CIV, 6-8). L’ensemble des qualités
réunies forme l’image supérieure du dieu créateur
dispensateur de la vie.
Dans notre contexte historique, la venue de Yhwh est directement mise en relation avec le lever du soleil et la tombée de la pluie : « Son lever est sûr comme celui de l’aurore, il vient à nous comme la pluie, comme l’ondée de printemps qui arrose la terre. » (Os. VI, 3). Son jugement est mis en relation avec ses qualités solaires : « Mon jugement se lève comme la lumière. » (Os. VI, 5). La conception de Yhwh est identique à celle de Baal Shamem ! Au VIIIe s. av JC en Israël, les deux dieux sont si proches qu’ils se confondent, si ce n’est que le Baal de Tyr et de Sidon a une parèdre que l’on nomme Astarté et celui de Byblos, une parèdre qui répond au nom de Baalat. Le prophète Osée met dans la bouche de la Maison d’Israël les paroles suivantes : « Que j’aille derrière mes amants (les Baals), qui me donnent mon pain et mon eau, ma laine et mon lin, mon huile et mes boissons. » (Os. II, 7) ; mais la Maison d’Israël se trompe : « Elle ne savait donc pas que c’est moi (Yhwh) qui lui avais donné le froment et le moût et l’huile fraîche, j’avais multiplié l’argent pour elle, ainsi que l’or : ils en ont fait le Baal ! » (Os. II, 10). Cette confusion est la cause de la colère du prophète Osée ! Il prétend pour Yhwh à une souveraineté supérieure que l’on doit rapprocher de celle dont jouit depuis longtemps le dieu El.
L’uræus ailé est représenté au VIIIe
s. av JC en Israël. Il apparaît en Juda à la fin du
Deuxième âge de fer B. Pourvu de quatre ailes, il est caractéristique
de l’art judéen. L’uræus est une représentation
du cobra à col noir que les pharaons portent sur le front. Il
mord ou crache son venin ardent. Sârâph est le nom hébreu
pour désigner le serpent plus ou moins fabuleux qui hante les
déserts : « Alors, Yhwh envoya contre le peuple les serpents
brûlants et ils mordirent le peuple : beaucoup moururent du peuple
d’Israël. » (Nb. XXI, 6). Les séraphins sont
des êtres hybrides et brûlants au service de Yhwh. Le Livre
d’Isaïe en rajoute et les dote de six ailes (Is. VI, 2-8).
Les séraphins vus par le prophète utilisent une paire
d’ailes pour voler, les autres pour protéger leur face
et leurs pieds de la gloire de Yhwh. Le « serpent brûlant
» fabriqué par Moïse (Nb. XXI, 8-9) fut mis en pièce
par Ezéchias, roi de Juda (716 – 687 av JC) « car
jusqu’à ce temps-là les fils d’Israël
lui offraient de l’encens : on l’appelait Nekhoushtan »(combinaison
des mots nâhâsh « serpent » et nehoshéth
« airain ») (2 R. XVIII, 4). Sârâph est aussi
le nom de l’uræus ailé.
De même que l’uræus est compris comme une puissance mystérieusement protectrice, le scarabée est tenu en Israël et en Juda comme une métaphore du soleil qui chaque jour illumine la terre. Au Deuxième âge de fer B, le disque solaire et le scarabée sont associés à la royauté. Dans l’ensemble des territoires asiatiques comme en Egypte, le disque solaire ailé possède une extraordinaire puissance de représentation. Il est l’emblème du dieu Soleil dont le roi est le représentant terrestre. La conception solaire du divin se fond avec le culte judéen de Yhwh. L’image du rayonnement de Yhwh, en tant que dieu solaire, correspond à la représentation du soleil levant dans l’image du scarabée ailé ou du disque solaire. En Juda, à la fin du VIIIe s. av JC, Yhwh n’est pas considéré comme Baal, seigneur du ciel, tel qu’il l’est en Israël. Il est proprement dit le dieu solaire qui sauve, qui guérit et qui venge.
Quelques années plus tard, profitant des troubles qui accompagnent
le début du règne de Salmanasar V (727 – 722 av
JC), nouveau roi d’Assour, Osée tente de secouer le joug.
Il refuse de payer tribut et noue des relations avec l’Egypte.
De ce fait, Samarie subit un siège de trois ans avant de tomber
aux mains de Sargon II (722 – 705 av JC), successeur de Salmanasar,
qui déporte les habitants à Halah, dans la région
d’Haran, en Mésopotamie, sur le fleuve Habor, et au-delà
du Tigre, en Médie (2 R. XVII, 5-6), tandis qu’il installe
en Israël des babyloniens et des déportés de tribus
arabes (Esd. IV, 2). Sargon II dépose le roi d’Ashdod insoumis,
pour placer l’un des siens, qui s’empresse de fomenter une
coalition contre lui. Elle est formée des rois d’Edom et
de Moab et d’Ezéchias, roi de Juda (716 – 687 av
JC). L’armée de Sargon s’empare d’Ashdod (Is.
XX, 1). Juda se soumet pour échapper aux représailles.
A la suite de la conquête, de la dévastation, de la fuite ou de la déportation de la population, Israël connaît une période de dépeuplement des villes, accompagné du renouveau du nomadisme dans les campagnes. Victime du conflit entre l’Assyrie et l’Egypte, le royaume de Juda est envahi (701 av JC) par Sennachérib, roi d’Assour (704 – 681 av JC) (2 R. XVIII, 13). Il s’empare de quarante-six villes à la suite de sièges et de batailles retracés par les sculptures du palais de Ninive. Situé à l’écart des grandes voies commerciales, le royaume de Juda s’était trouvé à l’abri des conflits. La campagne de Sennachérib a de graves conséquences. Ezéchias négocie la reddition de Jérusalem. Il doit s’acquitter d’un si lourd tribut qu’il est obligé de prélever le plaquage d’or des portes du temple (2 R. XVIII, 16). Les rois d’Assour, Assarhaddon (681 – 669 av JC) et Assourbanipal (669 – 642 av JC) prolongent les campagnes vers l’Egypte auxquelles Manassé, le roi vassal de Juda (687 – 642 av JC) doit nécessairement se joindre. L’expansion assyrienne se poursuit jusqu’au pillage de Thèbes, sauvée de la destruction par la finesse diplomatique de Montouemhat, gouverneur de Haute Egypte, quatrième prophète d’Amon-Rê, reconnu par Assourbanipal comme roi de Thèbes.
Après le reflux assyrien, Juda retrouve la liberté de s’étendre vers le Néguev au sud et vers l’ancien royaume d’Israël au nord. L’effondrement d’Assour autorise l’émancipation. Le règne de Josias, roi de Juda (640 – 609 av JC) arrive comme une renaissance. Le roi relève l’héritage des traditions d’Israël qui viennent nourrir le nouvel élan nationaliste : « Le roi monta à la Maison de Yhwh, ayant avec lui tous les hommes de Juda et tous les habitants de Jérusalem, les prêtres et les prophètes (...) Il lut à leurs oreilles toutes les paroles du Livre de l’Alliance qui avait été retrouvé dans la Maison de Yhwh (...) Alors, le roi ordonna au grand prêtre Hilquiyahou (...) de faire sortir du Temple de Yhwh tous les objets qui avaient été faits pour le Baal, pour l’Ashérah et pour toute l’Armée des cieux. Il les fit brûler en dehors de Jérusalem (...) Il supprima la prêtraille qu’avaient installée les rois de Juda (...) ainsi que ceux qui offraient l’encens au Baal, au Soleil, à la Lune, aux Constellations et à toute l’Armée des cieux. Il fit sortir l’Ashérah de la Maison de Yhwh (...) il la fit brûler dans le torrent du Cédron (...) Il démolit les maisons des prostituées sacrées qui étaient dans la Maison de Yhwh. » (2 R. XXIII, 2-7). Pourtant, cette révolution religieuse n’est qu’un feu de paille. En l’an 609 av JC, alors que le pharaon Néchao II (610 – 595 av JC – XXVIe dynastie), à la tête d’une Egypte unifiée, traverse Canaan pour aller soutenir le dernier roi d’Assour aux prises avec le régime chaldéen de Babylone, Josias tente de lui barrer le passage. L’engagement se déroule à Megiddo où le roi de Juda reçoit la flèche fatale. La campagne égyptienne s’achève par la déroute de Karkemish (605 av JC) et la victoire des troupes babyloniennes commandées par Nabuchodonosor, roi de Babylone (605 – 562 av JC).
Fils aîné du roi Josias, écarté du trône à la mort de son père au profit de son frère Joachaz, Eliaqim (El élève) y accède trois mois plus tard, par la volonté du pharaon Néchao II qui le nomme Joaqim (Yh[wh] élève) (609 – 598 av JC). Il règne d’abord sous la domination égyptienne, à qui il paye le tribut des vaincus ; puis, sous la domination babylonienne, après la déroute du pharaon, qui abandonne l’ensemble des territoires asiatiques jusqu’au torrent d’Egypte à Nabuchodonosor. Les trahisons de Joaquim finissent par amener l’empereur babylonien lui-même devant les murs de Jérusalem (598 av JC). Joaqin succède brièvement à son père, avant d’être déporté à Babylone avec tout ce que le royaume de Juda compte de notables, d’intellectuels, d’artisans et d’hommes solides. Nabuchodonosor installe sur le trône Matanya (don de Yh[wh]) qu’il nomme Sidqiya (justice de Yh[wh] - forme grecque : Sédécias -) (597 – 587 av JC). Il ne reste en Juda que ruines et petites gens. Pourtant, Sidqiya se refait et, comptant sans doute sur l’appui de l’Egypte, il se dresse contre l’Empire babylonien. Le siège de Jérusalem dure deux ans. C’est la fin du royaume de Juda et le long exil de Babylone.
Le système symbolique religieux au Deuxième âge
de fer C, tel que l’iconographie le dévoile, atteste le
recul des motifs solaires d’inspiration égyptienne. Les
cylindres-sceaux témoignent de la présence assyrienne
à l’ouest du Jourdain. Ils déroulent des scènes
cultuelles où s’affirme la loyauté du roi d’Assour
envers les puissances célestes : Ninurta, le dieu guerrier, Adad,
le dieu de l’orage, et les déesses Gula et Ishtar. L’on
voit le roi, qui tient l’arc levé touchant le sol, toujours
tête nue, parfois ceint d’une épée, debout
devant un mobilier cultuel. Un prêtre lui fait face et agite l’éventail
du rituel des libations. Le croissant de lune et l’étoile
(Vénus) à huit branches couronnent la scène. On
voit également l’emblème cultuel du croissant pourvu
des deux glands, qui représente le dieu lunaire résidant
à Haran, flanqué de la bêche et du stylet, symboles
des dieux babyloniens Marduk et Nabû qui, comme le dieu lunaire
Sîn, n’apparaissent que dans la figuration de leur emblème
respectif. L’épi ou l’arbuste témoigne de
la bénédiction des puissances célestes en retour
de la loyauté du roi. L’on possède un sceau représentant
Adad qui bande l’arc face au serpent cornu. Les flèches
que le dieu de l’orage décoche semblent représenter
les éclairs qu’il lance contre le monstre marin. A rapprocher
: « Dans les cieux tonna Yhwh et le Très-Haut fit entendre
sa voix, il lança ses flèches et dispersa les ennemis,
il jeta des éclairs et les mit en déroute. » (Ps.
XVIII, 14-15) ; ou encore : « Yhwh, incline tes cieux et descend,
touche aux montagnes et qu’elles fument ! Emets des éclairs,
disperse les ennemis, lance tes flèches et mets-les en déroute
! » (Ps. CXLIV, 5-6). Nous avons vu que le mythe du dieu de l’orage
qui combat le serpent cornu avec la lance s’inscrit dans une tradition
cananéenne du Bronze récent. L’Elohim de Gn. IX
qui place son « arc dans un nuage » après le déluge,
pour signifier son éclatante victoire et sa souveraineté
pleinement rétablie, reflète une identique symbolique.
Les deux déesses d’origine assyrienne que l’on voit au Deuxième âge de fer C en pays de Canaan sont Gula et Ishtar. La première est la thérapeute, figurée le scalpel à la main. La seconde est la guerrière, l’épée au poing face à des adorateurs. La relation d’Ishtar avec les étoiles est mise en évidence par l’étoile Vénus et les Pléiades ou encore par l’auréole. Cette symbolique astrale indique la manifestation nocturne de la déesse, mais également son rôle d’accompagnement dans les transitions, à l’aurore comme au crépuscule. Sous l’influence assyrienne et araméenne, les puissances célestes revêtent les apparences astrales des divinités de la nuit, en opposition avec le Deuxième âge de fer B où le système symbolique est centré sur le soleil. Les sphinx et chérubins qui environnaient le Seigneur du ciel ne sont plus accompagnés du disque solaire, mais du croissant ou du disque lunaire. Lors de la conquête d’Aram, en Haute Mésopotamie, les Assyriens adoptèrent le dieu lune de Haran, qui reçut une vénération familiale et royale sous le nom akkadien de Sîn. Le culte du dieu fut entretenu d’un bout à l’autre des territoires conquis comme la grande puissance.
Au Deuxième âge de fer C, le dieu Lune revêt les caractères locaux. Figure anthropomorphe vêtue à l’assyrienne, on le voit sur son trône, entre les deux cyprès. Les diverses représentations, qui symbolisent ses divers attributs, montrent que le trône peut être imaginé au creux d’une barque, figurant le ciel tout autant que le croissant de lune. Sîn, le dieu lunaire souverain de Mésopotamie, s’identifie, sous sa forme anthropomorphe, au dieu El, toujours vénéré en Canaan. Or, depuis le Premier âge de fer, ce dernier se confond avec Yhwh dans les anciens royaumes d’Israël et de Juda, avec d’autres divinités locales, ailleurs. Tandis qu’au Deuxième âge de fer B, la symbolique solaire de Baal dévoile le Seigneur du ciel, au Deuxième âge de fer C, les caractères de El reparaissent. Au concept de Seigneur de toute la terre semble appartenir le qualificatif Elyôn (Très-Haut) appliqué à El (Dt. XXXII, 8). L’on a retrouvé, à Jérusalem, un fragment de vase votif portant l’expression « El, créateur de la terre », à côté des noms de trois adorateurs de Yhwh. Cela confirme qu’au Deuxième âge de fer C, tout au moins en Judée, El et Yhwh sont à ce point associés que Yhwh peut être adoré en tant que El créateur. Une autre inscription datée de l’an 700 av JC suppose cette confusion : « Interviens, Yh[wh], El miséricordieux, acquitte, Yh[wh], Yhwh. ». C’est ainsi que l’on trouve au VIIe s. av JC, dans l’ancien royaume de Juda, le dieu Lune représenté sous la forme humaine du dieu El et, dans le même temps, le dieu Yhwh confondu avec le dieu El. Un cylindre-sceau trouvé à Beth-Shân présente une scène particulièrement intéressante. Le dieu portant la barbe apparaît en vêtement long, assis sur le trône. Le cyprès stylisé est derrière lui, avec un homme armé saluant. Devant le dieu se tient un serviteur qui agite l’éventail, de sorte que le dieu est assimilé à un roi. La symbolique qui se dessine devant le personnage autorise l’identification au dieu El. A sa droite, le palmier stylisé est flanqué d’un caprin et d’un griffon ailé. Il s’agit de symboles associés à l’Ashèrah : entouré des caprins, l’arbre évoque le caractère bienfaisant de la déesse ; gardé par les chérubins ou les griffons, il est objet de culte. La relation du dieu avec le palmier stylisé qui médiatise sa bénédiction évoque particulièrement la représentation du dieu El et de son Ashérah. Nous voyons qu’en pays de Canaan, au Deuxième âge de fer C, le dieu lunaire Sîn, maître de la Mésopotamie, et le dieu El, régnant à l’ouest du Jourdain, sont identifiées l’un à l’autre comme une double manifestation d’un seul dieu Très-Haut. L’arbre stylisé, le palmier est désormais associé au dieu Sîn comme au dieu El. L’époque se caractérise, non seulement par le caractère astral et nocturne de l’esprit religieux, mais encore par le fait que le dieu souverain est représenté tant de façon astrale, qu’emblématique ou anthropomorphe.
A l’ouest du Jourdain comme en Mésopotamie, les astres constituent l’essence des cultes. La lune et l’étoile Vénus sont au premier plan de « l’armée du ciel » qui maintient l’ordre éternel. Le dieu lune, comme figure anthropomorphe, voisine avec la glorieuse image de l’astre nocturne. Une relation et une tension s’établie entre la réalité céleste et cette autre réalité, de l’ordre de la croyance, qui veut que le dieu soit présent dans l’image ou l’emblème qui le représente. Il est fréquent de retrouver les Pléiades sur des amulettes-sceaux, ou simplement une étoile ou un groupe d’étoile représentant l’armée du ciel appelée à protéger la personne porteuse de l’objet symbolique. Parfois le graveur puise son inspiration dans quelques réminiscences du Bronze récent et l’on voit le caprin et le rameau associés au symbole astral. L’image de la colombe messagère des dieux et des déesses réapparaît également.
On a cependant retrouvé un sceau du VIIIe - VIIe s. av JC qui représente une déesse nue de face, pourvue de cornes et de deux paires d’ailes. Les fleurs en forme d’étoiles qu’elle tient dans les mains évoquent la Reine du ciel vénérée en Juda au début du VIe s. av JC. Les Judéens exilés en Egypte répondent ainsi à Jérémie : « Nous voulons réaliser tout ce qui est sortie de notre bouche, à savoir : encenser à la Reine des cieux et lui répandre des libations, comme nous l’avons fait, nous et nos pères, nos rois et nos princes, dans les villes de Juda et dans les rues de Jérusalem, alors que nous étions rassasiés de pain, que nous étions heureux et que nous ne connaissions pas le malheur. Mais dès lors que nous avons cessé d’encenser à la Reine des cieux et de lui répandre des libations, nous avons manqué de tout et nous avons péri par le glaive et par la famine. » (Jr. XLIV, 17-18). Nous connaissons les relations que la Reine du ciel entretient avec la déesse assyrienne Ishtar. Mais si celle-ci est vénérée en pays de Canaan au Deuxième âge de fer C, elle n’est représentée ni en Juda, ni en Israël. Si le culte d’Astarté n’est pas largement répandu, en revanche, nous avons vu que le culte d’Ashérah, comme corollaire de la vénération du dieu El ou Yhwh, est assuré en Juda au VIIe s. av JC. Par ailleurs, le prophète Jérémie nous dit que le culte de la Reine du ciel est pratiqué par l’ensemble de la société judéenne. Il s’adresse à la piété familiale : « Les fils recueillent des bois et les pères allument le feu, les femmes pétrissent la pâte pour faire des gâteaux à la Reine des cieux » (Jr. VII, 18) ; des gâteaux qui la représentent (Jr. XLIV, 19). Le culte vise à procurer bonheur et bénédictions. Dès lors que la Reine du ciel possède les mêmes qualités que l’Ashérah de Yhwh, nous inférons que la Reine du ciel revêt en Juda l’identité d’Ashérah, qui n’est autre que la déesse assyrienne Ishtar, introduite en Israël et en Juda. Pour les mêmes raisons, les figurines piliers du culte domestique doivent également être reconnues comme des représentations d’Ashérah.
Mais les statuettes cheval avec cavalier procèdent d’un autre symbolisme. Elles semblent appartenir à l’environnement du dieu El, dieu du ciel et dieu créateur qui se confond alors avec Yhwh. En ce cas, il faut reconnaître des représentations populaires de l’armée du ciel dans ces statuettes de terre cuite. Les icônes réalisent le symbole guerrier contenu dans l’expression « armée du ciel », sachant que ce sont les astres, garants de l’ordre, qui forment l’armée des cieux et de la terre (Gn. II, 1). Au Deuxième âge de fer C, l’armée du ciel désigne le conseil du dieu souverain dans sa constitution guerrière. Le prophète Micayehou dit (867 av JC) : « J’ai vu Yhwh siégeant sur son trône et toute l’armée des cieux se tenant près de lui, à sa droite et à sa gauche. » (1 R. XXII, 19). L’armée du ciel est constituée des saints (Ps. LXXXIX, 6). Ils forment une cavalerie légère et attelée : « Les chars d’Elohim sont des myriades. » (Ps. LXVIII, 18) ; « La montagne était pleine de chevaux et de chars de feu autour d’Elisée. » (2 R. VI, 17). Lors du siège de Samarie par les armées araméennes, la ville est miraculeusement sauvée : « Adonaï, en effet, avait fait entendre dans le camp des Araméens un bruit de chars, un bruit de chevaux et le bruit d’une grande armée. » (2 R. VII, 6). L’Ange de Yhwh est le plénipotentiaire de l’armée du ciel. Il peut se présenter comme messager (2 R. I, 3) ou comme le champion protecteur d’une ville : « Il advint, en cette nuit-là, que l’Ange de Yhwh sortit et frappa dans le camp des Assyriens cent quatre-vingt-cinq mille hommes. » (2 R. XIX, 35). Les oracles guerriers et vengeurs du Livre d’Isaïe favorisent l’attrait des statuettes cheval avec cavalier à l’époque babylonienne. Zacharie, le prophète de la restauration d’Israël après l’exil de Babylone (fin VIe s. av JC), reçoit la parole de Yhwh sous forme de visions : « Ainsi a parlé Yhwh des armées : Revenez à moi –oracle de Yhwh des armées– et je reviendrai à vous, à dit Yhwh des armées. » (Za. XI, 3). Sa première vision est celle des chevaux aux diverses couleurs : « Ce sont ceux que Yhwh a envoyés pour circuler sur terre. » (Za. I, 10). Ils viennent rendre compte à « l’Ange de Yhwh » des événements terrestres. Les désignations Reine du ciel et armée du ciel témoignent de la représentation que la piété populaire se faisait des divinités astrales en Juda au Deuxième âge de fer C.
Deux lamelles d’argent enroulées en amulettes, trouvées
dans la tombe d’une riche famille de Jérusalem (fin du
VIIe s. – début VIe s. av JC) dévoilent une première
formule de bénédiction fragmentaire en concordance avec
Nb. VI, 24-26 : « Que Yhwh te bénisse et te garde ! Que
Yhwh fasse briller sa face sur toi et te fasse grâce ! Que Yhwh
lève sa face vers toi et t’accorde la paix ! » Les
deux amulettes, même si elles portent des bénédictions
et non des commandements, témoignent de l’obligation de
porter sur le corps des paroles de la Torah : « Ce sera pour toi
un signe sur ta main et un mémorial entre tes yeux, afin que
la Loi de Yhwh soit en ta bouche. » (Ex. XIII, 9). La deuxième
formule de grâce fragmentaire est en concordance avec Dt. VII,
9 : « Tu sais donc que Yhwh, ton Elohim, est l’Elohim, l’El
fidèle, qui garde l’alliance et la grâce jusqu’à
mille générations pour ceux qui l’aiment et qui
gardent ses commandements. » L’idéologie sacerdotale
et prophétique qui préfigure la Deuxième loi (Deutéronome)
semble avoir largement marqué la piété de l’élite
de Jérusalem au VIe s. av JC. Une tête phénicienne
du dieu Bès et un pendentif à l’image de la déesse
égyptienne Bastet témoignent cependant de l’éclectisme
religieux de la famille qui déposa ses morts dans la tombe.
Les amulettes égyptiennes sont encore choses courantes dans l’ensemble du pays de Canaan au Deuxième âge de fer C. Elles attestent une constante fascination populaire pour les idées religieuses venues d’Egypte. La fin de la domination assyrienne favorise un certain retour de l’influence égyptienne sous la XXVIe dynastie, installée à Saïs (672 – 525 av JC). Les thèmes de création et de régénération sont évoqués, notamment par Sekhmet à tête de lion, l’épouse du dieu créateur Ptah de Memphis, par la figure du dieu Bès, par la déesse Isis donnant le sein, ou encore par l’œil oudjat. Amon et les motifs solaires sont toujours présents au VIIe s. av JC. Des pratiques cultuelles d’influence égyptienne ont cours à Jérusalem avant la prise de la cité par Nabuchodonosor (587 av JC), quand le prophète Ezéchiel découvre dans le sanctuaire (591 av JC) « toutes sortes de représentations de reptiles et de bêtes horribles et toutes les sales idoles de la maison d’Israël, dessinées sur la muraille, tout autour. » (Ez. VIII, 10).
L’exil, non seulement à Babylone, mais également
en Egypte, complique l’histoire religieuse de Juda. Chacun des
trois groupes vit dans des contextes socioculturels différents,
qui marquent inégalement leurs idées religieuses. Si les
conceptions mésopotamiennes, perses ou égyptiennes laissent
leurs empreintes sur la diaspora judéenne, l’exil a aussi
aiguisé une conscience identitaire qui a favorisé une
nouvelle affirmation religieuse. C’est au cours de l’exil
à Babylone que les conceptions religieuses qui marqueront le
judaïsme tardif ont été élaborées.
Les traditions religieuses de Juda sont précieusement recueillies
et repensées par ce que nous nommons l’école sacerdotale
ou l’école deutéronomiste. En revanche, la colonie
des Yehoud de l’île Eléphantine (en Haute Egypte)
pratique une religion syncrétiste qui se rattache aux traditions
du Deuxième âge de fer C. Elle met en scène les
dieux El et Yhwh ; Anat s’affirme comme la parèdre de Yhwh.
Les idées religieuses de la population demeurée en Juda
sont difficiles à apprécier. Le Livre d’Aggée
et le Livre de Zacharie (fin du VIe s. av JC) rapportent que le retour
des exilés et leurs prétentions à conduire les
affaires religieuses et politiques ont conduit à des oppositions
majeures avec les Judéens demeurés en Juda. Le fait que
la diaspora babylonienne prenne en charge la restauration du temple
de Jérusalem laisse penser que les Judéens restés
au pays sont également marqués par les idées et
les pratiques religieuses du Deuxième âge de fer C.
L’archéologie témoigne que la déesse Isis
apparaît, dans son rôle de mère, comme la principale
représentation féminine. Si la déesse nue existe
toujours, la femme enceinte et la déesse à l’enfant
sont les figures les plus populaires. Dans les représentations
masculines, un Zeus barbu et trônant, marqué par des influences
gréco-cypriotes apparaît, comme un prolongement des dieux
El ou Baal Hamon. Les statuettes cheval et cavalier se perpétuent
dans une figuration perse. Les motifs grecs entrent dans les représentations
phéniciennes, particulièrement Héraclès,
l’athlète nu luttant contre le lion ou s’avançant
en héros. Le lion est une figure très représentée,
sans que l’on puisse affirmer qu’il symbolise Juda. Un lion
portant un disque solaire sur la tête semble représenter
Yhwh de Sion. Malgré l’élan poétique du Livre
d’Isaïe (IIIe partie, postexilique) : « Le soleil ne
te servira plus de lumière du jour, et la lune ne t’éclairera
plus en donnant son éclat la nuit, mais Yhwh sera pour toi une
lumière perpétuelle. » (Is. LX, 19), Yhwh est toujours
symbolisé à Jérusalem par la lumière du
soleil : « Dresse-toi, brille, car ta lumière survient
et la gloire de Yhwh se lève sur toi (Jérusalem). »
(Is. LX, 1). Il est « le soleil de justice » (Ml. III, 20).
La génération judéenne, qui, en 520 av JC, entreprend
la restauration du temple, veille à une nouvelle orthodoxie.
La septième vision du prophète Zacharie personnifie «
l’hérésie » sous la forme de la déesse
: « L’Ange qui parlait avec moi sortit et il me dit : Lève
donc tes yeux et vois : qu’est-ce qui apparaît ? Et je dis
: Qu’est-ce ? Il me dit : C’est l’eyphah (mesure de
capacité d’env. 37 l.) qui apparaît. Puis il dit
: C’est leur faute dans tout le pays. Et voici que fut soulevé
le couvercle de plomb et il y avait une femme assise au milieu de l’eyphah.
Il dit : C’est la Méchanceté ! Il la rejeta à
l’intérieur de l’eyphah et il remit le poids de plomb
sur l’ouverture de l’eyphah. Je levais les yeux et j’eus
une vision : et voici qu’apparurent deux femmes. Il y avait du
vent dans leurs ailes, car elles avaient des ailes comme des ailes de
cigogne. Et je dis à l’Ange qui parlait avec moi : « Où
emmènent-elles l’eyphah ? Il me dit : C’est pour
lui bâtir une maison au pays de Shinear (la Babylonie, où
se trouvait la tour de Babel), et quand elle sera prête, elles
l’y déposeront sur sa base. » (Za. V, 5-11). L’oracle
d’Aggée exclut les Judéens qui n’adhèrent
pas à la nouvelle orthodoxie, de la restauration du temple :
« Ainsi en est-il de ce peuple (impur), ainsi en est-il de cette
nation devant moi –oracle de Yhwh– ainsi toute l’œuvre
de leurs mains, et ce qu’ils offrent là, c’est impur
! Et maintenant appliquez donc votre cœur, à partir de ce
jour et par la suite : avant qu’on eût posé pierre
sur pierre dans le Temple de Yhwh ? qu’étiez-vous ? »
(Ag. II, 14-16) On imagine le fondamentalisme religieux qui s’impose
autour du prêtre Josué et de Zorobabel. Le culte de la
déesse est particulièrement honni.
Composées au IIIe s. av JC, les Chroniques bibliques effacent toute trace des déesses Astarté et Ashérah de l’histoire des royaumes d’Israël et de Juda, alors qu’elles sont encore présentes dans la Torah rédigée à la fin du Ve s. av JC. Au IVe et au IIIe s. av JC, « le danger » n’est plus dans les cultes des dieux étrangers, mais dans la présence d’une déesse et de sa prétention à jouer le rôle de parèdre aux côtés de Yhwh ; d’autant qu’Astarté jouissait de la magnificence de son culte dans les villes côtières.