Epicure est le philosophe de l’amitié, c’est ce que nous retiendrons ici. Après tout, c’est peut-être plus facile que la religion de l’amour !
C’est une amitié largement distribuée qu’il nous propose, une amitié vraie qui n’a pas besoin, pour être et pour lier, du support négatif de la haine partagée. « De tous les biens que nous procure la sagesse », dit-il, « le plus grand est l’amitié. » Voilà qui est clair. C’est la clé de sa philosophie. La sagesse doit nous conduire à des sensations et des émotions moyennes : un bon repas, mais sans exagération ; un rapport amoureux, mais sans névrose de l’âme. L’amitié n’est-elle pas aussi le sentiment moyen entre l’indifférence et l’amour ? Pour l’Athénien, l’amitié devrait se transmettre d’un individu à un autre et former un réseau social de communication, une chaîne du bonheur.
Cet homme, en définitive, n’a d’autre quête que le bonheur. Il n’est pas « l’animal politique » que décrit Aristote et qui ne saurait réaliser pleinement son humanité que dans sa participation à l’action politique. « Il faut se libérer de la prison des occupations et des affaires publiques » conseille, tout au contraire, Epicure. Plutôt une société qui mette son espérance dans l’amitié que celle qui mettrait sa confiance dans la justice !
Mais voilà, c’est ici que ça ne marche plus ; parce que l’amitié reste une valeur privée et n’est pas, comme la justice, susceptible de devenir un instrument idéologique pour la conquête du pouvoir. Vous les voyez nos chefs de parti faire campagne sur le thème de l’amitié ? Ca ne serait pas sérieux ! Et puis, on le sait, amitié et politique, c’est contradictoire.
Diogène nous rapporte que les amis d’Epicure étaient si nombreux que des villes entières ne pouvaient les contenir. Le philosophe acheta à Athènes une gentille maison et un beau jardin pour y installer son école fondée, donc, sur l’amitié. On appela ses disciples : « Ceux du Jardin ».
S’il est une valeur dont nous sommes sûrs, n’est-ce pas, en définitive, l’amitié ? Et s’il en est une à défendre, que ce soit celle-là. S’il est un lieu pour le bonheur, n’est-ce pas notre maison et notre coin de jardin ?
Nota Il est significatif de voir que le pharisaïsme rabbinique, faisant une nette différence entre les hérétiques judéo-chrétiens, « les Nazaréens », et les chrétiens dualistes, disciples de Marcion, appellera ces derniers « les Epicuriens », tant leur liberté était grande et leur dieu éloigné semblait inexistant : « Ils disent que la résurrection des morts n’est pas, que la Torah n’est pas du Ciel (de Dieu). » (Talmud de Jérusalem, Pea)