Paul avance l'argument du précédent. Les Ecritures enseignent, en effet, que Dieu possède la puissance de faire grâce, quand il veut, à qui il veut. Exemple : il ne compte pas le péché de David (Rm. IV, 6-8). Certes, il ne classe pas l'affaire ; il ne donne pas au roi un passe-droit constitutif de forfaiture. Il dévoile à tous le lieu d'une existence possible en dehors de la loi. Grâce particulière pour le roi David sans doute, mais grâce universelle pour ceux qui croient que le fondement de la loi n'est pas de principe divin. Si « le Seigneur » peut suspendre la Torah (Ibid. 8), il peut aussi l'annuler. L'évocation de David par Paul ne vient pas sans raison. L'argument est d'actualité. L'Ecrit de Damas rejette la polygamie qui a cours en Israël et donne un enseignement sur ce qu'il faut savoir du cas David : « Quant à David, il n'avait pas lu le livre scellé de la loi qui était dans l'Arche (d'Alliance). Car (ce livre) ne fut pas ouvert en Israël depuis le jour où moururent Eléazar et Josué (...) et il resta caché
Considérons la logique de Paul : 1) Dieu justifie Abraham (prépucé) à cause de sa foi (Rm. IV, 9-10) ; 2) Dieu justifie David (circoncis), à cause de sa foi et en dépit de son péché ; 3) donc, le prépucé pécheur qui a foi sera justifié. Le raisonnement est entaché d'illogisme puisque David n'est pas prépucé. La logique se retrouve si l'on considère l'enseignement de l'Ecrit de Damas, selon lequel David (pas davantage qu'Abraham) ne connaissait la loi de Moïse. En ce cas, la démonstration est d'un autre ordre : David, comme Abraham, est justifié par sa foi, avec plus de certitude encore puisqu'il a commis une faute (selon la loi) et que le Seigneur la lui remet.
Malgré Paul, il ne nous semble pas cependant que Dieu annule le péché de David : « Ainsi a parlé Yhwh : Voici que moi, je vais susciter de ta maison le malheur. » (2 S. XII, 11-19). L'argumentation de la justice sans les œuvres (Rm. IV, 7-8) par le Psaume XXXII ne tient pas. Mais elle n'enlève rien au sens que Paul donne à la justification. Dans le Psaume, le péché est bien effacé. Cependant, on ne peut pas dire que David soit lui-même justifié sans les œuvres de la Torah : « Je te fis connaître mon péché et ne te cachai pas ma faute, je dis : "Je confesserai mes transgressions à Yhwh !" et, toi, tu as remis la peine de mon péché. » (Ps. XXXII, 5). Il y a bien ici une contrepartie légale au pardon de la faute : l'humiliant repentir qui répond aux ordonnances du Lévitique, sans lequel nulle miséricorde (Lv. XVI, 28 ; XXIII, 27). Si le forfait couronné ne se légitime point, pour le moins obtient-il le pardon.
Paul éprouve sûrement des difficultés à faire valider une démonstration qui défie la raison, au moins autant que l'esprit de la loi. Abattre des pensées (2 Co. X, 4) qui trouvent en Dieu leurs fondements est une tâche insurmontable... sans l'aide de Dieu. Pour qui ignorerait la loi et les prophètes, l'assertion que la liberté est une manifestation de l'esprit, qui dévoile à l'homme l'impératif de sa conscience pour le détacher de la contrainte des lois, pourrait se dire sans un recours forcé aux Ecritures. Ce n'est certainement pas le cas envers ceux qui y plongent leurs pensées quotidiennes : « Et qu'il ne manque pas, dans le lieu où seront les dix (Saints), un homme qui étudie la loi jour et nuit, constamment, concernant les devoirs des uns envers les autres. Et que les Nombreux2 veillent en commun durant un tiers de toutes les nuits de l'année pour lire le Livre et pour étudier le droit et pour bénir en commun. » (Règle VI, 6-8).
1 L’expression « Craignant-Dieu » est employée par Flavius Josèphe pour désigner les Goyim proches du judaïsme, au point d’en accepter certaines pratiques, sans pour autant se convertir et recevoir le sceau de la circoncision.
2 « Les Nombreux » est un terme par lequel se désignent les Saints, membres de la Communauté essénienne.