Le discernement des esprits prend chez Paul un sens univoque. Il consiste à déterminer ce qui est vrai de ce qui est faux, conformément aux vérités évangéliques (I Co. XII, 3). L'expression utilisée, « l'esprit saint », n'est cependant pas neutre. Elle reste fortement connotée par l'enseignement de la Communauté des Saints (Règle III, 7 ; IV, 21 ; VIII, 16 ; IX, 3 ; Hy. VII, 6 ; IX, 32 ; XII, 12 ; XVI, 12 ; XVII, 26). Il est intéressant de comparer le catalogue des vertus qui s'attache à l'esprit du bien selon l'instruction de la Communauté (Règle III, 2-6), avec la liste des dons de l'esprit selon l'enseignement de Paul (Ibid. 8-10). L'on retrouve ici et là : la sagesse, la connaissance et la guérison. La question des langues ne semble concerner que l'engouement des Hellènes et leurs pratiques de glossolalie idolâtre.
L'idéologie des Saints distribue la psychologie de l'homme en autant d'esprits qu'il possède de vertus ou de vices (voir Test. Jud. XX, 1). A titre d'exemple nous retrouvons : l'esprit de sagesse (1 Hén. XLIX, 3 ; LXI, 11) (1 Co. XII, 8a) ; l'esprit de connaissance ou de science (Ibid. 8b) (Règle IV, 4 ; Hymne XIV 25; Bénéd. V, 25 : esprit de connaissance et de crainte de Dieu ; Ps. ps. David. XIX, 14 ; esprit de foi et de connaissance ; 1 Hén. XLIX, 3) ; l'esprit de foi (1 Hén. LXI, 11) (1 Co. XII, 9a) ; l'esprit de prophétie (Ibid. 10b) (Ps. ps. David. XXVII, 11 ; 1 Hén. XCI, 1 ; Jub. XXXI, 12 ; Mart. Is. I, 7 ; Ant. Bib. LXII, 2). Listés par Paul dans son énumération des « dons spirituels » (1 Co. XII, 1), ces divers « esprits » ne participent alors que d'un esprit unique (Ibid. 4).
Selon la doctrine essénienne, la diversité participe des deux esprits de vérité et de perversion que Dieu a mis en l'homme (Règle III, 18-19). Le discernement des deux esprits, c'est-à-dire le jugement de la part du bien et de celle du mal, en toute l’œuvre du postulant ou du converti de la Communauté (Ibid. IV, 26), revêt une importance fondamentale (Ibid. V, 20-21, 24 ; IX, 14-15). Différemment, la dualité paulinienne n'oppose pas deux esprits en l'homme, mais l'esprit au corps ou « âme vivante » (1 Co. XV, 45). « Un même esprit » (1 Co. XII, 4) est donné à l'homme par la grâce de Jésus Christ. L'on sait que la rupture entre les deux enseignements se fait essentiellement sur la question de la loi (Règle III, 4) et de la foi (1 Co. XII, 9). Néanmoins, nous touchons ici un point de séparation essentiel entre l’idée paulinienne d’un dualisme radical et la doctrine essénienne marquée par un dualisme relatif.
Cet enseignement sur l’unité de l’esprit, nous aide à entendre que la prédication à laquelle se heurte l'apôtre est marquée par la doctrine des Saints. La Règle de la Communauté donne l'instruction suivante sur la diversité des esprits qui participent à la lumière ou aux ténèbres :
- « Pour l'homme intelligent, afin qu'il instruise et enseigne les fils de lumière concernant la nature de tous les fils d'homme : toutes les espèces d'esprits qu'ils possèdent, avec leurs caractères distinctifs ; leurs œuvres, avec leurs catégories ; et la Visite (rétribution divine) où ils sont frappés, ainsi que les temps où ils sont heureux. » (Règle III, 13-15)
- « C'est ce même et unique esprit qui opère tout cela, qui répartit comme il veut la part de chacun. » (1 Co. XII, 11)
Plutôt que l'expression d'une glossolalie bonne à impressionner le parterre, l'on peut penser que Paul attendait ainsi la forme de l'expression prophétique dans les assemblées : « Tandis qu'ils étaient assis, l'esprit saint bondit, habita dans Cénez et exalta sa pensée. Il se mit à prophétiser en disant : "Voici maintenant que je vois ce que je n'espérais pas et que je contemple ce que je ne connaissais pas. Maintenant, écoutez, vous qui habitez sur la terre ! De même que ceux qui demeuraient là ont prophétisé avant moi et ont vu cette heure-là, connaissez aussi, avant que la terre ne soit détruite, toutes les prophéties décidées à l'avance, vous tous qui habitez sur elle !" » (Ant. Bib. XXVIII, 6). L'édification de la communauté, par l'esprit saint et l'espérance céleste, peut rappeler, sur un autre registre, l'esprit prophétique de l'espérance terrestre d'Israël.
L'esprit inspire la prophétie : « Yhwh descendit dans la nuée et lui (Moïse) parla. Il reprit de l'esprit qui était sur lui et en mit sur les soixante-dix hommes, les anciens. Or, dès que l'esprit se reposa sur eux, ils prophétisèrent, mais ils ne recommencèrent pas. Deux hommes étaient restés dans le camp ; le nom de l'un était Eldal et le nom du deuxième était Meydad. L'esprit se reposa sur eux, car ils étaient parmi les inscrits, mais ils n'étaient point sortis vers la Tente, et ils prophétisèrent dans le camp (...) Que tout le peuple de Yhwh soit des prophètes, puisque Yhwh mettra son esprit sur eux ! » (Nb. XI, 25-29) ; « Alors fondra sur toi (Saül) l'esprit de Yhwh, tu prophétiseras avec eux et tu seras changé en un autre homme (...) Comme ils arrivaient là, à Guilbeah, voici qu'une bande de prophètes vint à sa rencontre. L'esprit de Dieu fondit sur lui (Saül) et il prophétisa au milieu d'eux. » (1 Sm. X, 5-6, 9-13) ; « Alors Saül envoya des messagers pour prendre David. Ils aperçurent le collège des prophètes en train de prophétiser, Samuel se tenant debout comme leur président, et l'esprit de Dieu fut sur les envoyés de Saül qui prophétisèrent, eux aussi (...) [Saül] alla de là vers Nayoth-en-Ramah et sur lui aussi fut l'esprit de Dieu. » (Ibid. XIX, 20-24). Le péché contre l'esprit consiste alors à ne pas accepter l'authentique prophétie pour véritable.
Cependant, l'esprit paulinien n'est pas une source d'inspiration qui dessine l'histoire et donne des conseils éclairés aux chefs qui la conduisent. Il est véritablement la puissance qui libère (de) la création, l'esprit de la fin des temps. Il se fonde sur « la vérité éternelle » (Règle IX, 3) qui n’appartient plus à la Communauté des Saints. Il dévoile le mystère « tu de toute éternité » (Rm. XVI, 25). L'unité de l'esprit, qui se retrouve en des expressions personnelles multiples (1 Co. XII, 28), est la condition de la participation de la communauté au projet qui la fonde. L'esprit est l'organon par lequel s'établit toute relation. Il constitue l'expression de « la volonté de Dieu ». Il fait de Paul l'apôtre du Christ (1 Co. I, 1) (2 Co. I, 1), afin d' « arracher [l'homme] à ce mauvais âge présent » (Ga. I, 4). En l'absence de cette détermination, l'esprit n'appartient plus à Dieu. Il devient un esprit vagabond, magique, entaché de l'erreur de quelques faux mystères. Il révèle tout simplement la stupidité en l'homme.