Dans un sens paulinien, ces violences sont liées à la loi du péché. La Torah favorise les appétences terrestres portées par la volonté de survivre. Les Hébreux font l’erreur de valoriser cette volonté et de croire qu’elle répond à la volonté de Dieu. Paul constate qu’elle ne mène jamais les hommes qu'à leur mort. Le concept paulinien d' « esprit du monde » intègre l'idée que la loi positive est l'expression de la perversion des hommes. Elle fausse la relation de chacun à Dieu et au prochain. Point n'est besoin de l'amender ou de l'interpréter d'une façon nouvelle. Il faut l'abroger ! L'apôtre fait un bout de chemin avec les Saints. Néanmoins, son évangile annonce rapidement la rupture d’avec ceux qui croient au fondement divin de la loi. Les Esséniens et Nazaréens témoignent que la Torah vient de Dieu. Ils jugent qu’elle est faussement interprétée, profanée, bafouée par « le Prêtre impie » (Comm. Ha. IX, 9 ; XI, 4, 12 ; XII, 2, 8) et par les collaborateurs judéens égarés dans l'Hellénisme. Au sein de la Communauté élue, les Saints prétendent à la juste « interprétation de la loi dans laquelle marchent les hommes de la perfection de la sainteté » (Damas B I, 6-7).
L’Ecrit de Damas juge qu'Israël a été pris au piège des « trois filets de Bélial » (Damas IV, 15) (point de vue identique dans le Testament des douze patriarches). Il s'agit : 1) de la luxure (perversion qui, pour Paul, aggrave le péché de l'incarnation : Rm. V, 12) ; 2) de la richesse, qui résulte de l'âpreté au gain, de la thésaurisation et de l'exploitation des pauvres (1 Co. V, 10 et VI, 10) (Règle IX, 21-23) ; 3) de la souillure du sanctuaire, qui porte atteinte à la juste pratique de la Torah. L'égarement relatif au troisième filet perd sa pertinence d'un point de vue paulinien, puisqu'il n'est d'autre sanctuaire de Dieu que l'homme lui-même et que la valeur de la Torah n'est plus reconnue.
La lecture du Livre des Jubilés (qui nous montre comment le prince Mastéma (« Hostilité ») forme l'esprit de perversion) nous éclaire un peu plus sur ce que peut recouvrir l’expression « esprit du monde » : « On (commença) à s'élever au-dessus du peuple, à poser le principe de la royauté et à aller en guerre peuple contre peuple, nation contre nation, ville contre ville. Tous (commencèrent) à faire le mal, à acquérir des armes et à enseigner la guerre à leur fils. Ils commencèrent à conquérir des villes et à vendre des esclaves mâles et femelles (...) Ils se firent des statues de fonte, et chacun adorait une idole (...) Le prince Mastéma s'efforçait de provoquer tout cela. Il envoyait d'autres esprits -ceux qui avaient été mis en son pouvoir- (voir Jub. X, 10) pour provoquer toutes sortes de crimes, de péchés et de vices. » (Jub. XI, 2-6) (1 Hén. VII-VIII)
Poursuivons avec le mythe de la chute des anges suivant le Livre d'Hénoch : « Azaël apprit aux hommes à fabriquer des épées, des armes, des boucliers, des cuirasses, choses enseignées par les anges. Il leur montra les métaux et la manière de les travailler, ainsi que les bracelets, les parures, l'antimoine, le fard des paupières, toutes les sortes de pierres précieuses et les teintures. Il en résulta une grande impiété. (Les hommes) se débauchèrent, s'égarèrent et se perdirent dans toutes leurs voies. Shemêhaza leur enseigna les charmes et la botanique,
L'esprit qui n'est point de Dieu est attaché à l'incarnation et, par suite, à l'ordre du monde qui régit la convoitise et l'ensemble des relations sociales. L'esprit des lois participe au mode d'être de tout homme « vulgaire » (Rm. IX, 21). Il gère sa relation au monde. L'esprit d'amour organise au contraire la vie sociale du Parfait (1 Co. II, 6) (Php. III, 15). L'on sait que l'homme de la glèbe, « âme vivante » (1 Co. XV, 45) habitée par « la loi du péché » (Rm. VII, 23), n'a point l'esprit de Dieu. Paul ajoute que la Torah (la loi du monde) est, non seulement injuste (Rm. III, 21) (Ga. II, 16), mais encore qu'elle constitue pour l'homme « la puissance du péché » (1 Co. XV, 56).
Le monde possède ainsi un principe structurant, une façon de se penser, de s'organiser et de (sur)vivre, que Paul appelle « l'esprit du monde » (1 Co. II, 12). La société des Psychiques, se construit avec les mauvais « éléments » (Ga. IV, 3). La « sagesse du monde », que Paul réprouve vivement (1 Co. I, 20 ; III, 19), cimente cet ensemble. La pratique de la loi, l'observance de la tradition et l'installation de l'homme dans le monde ainsi institué caractérisent cette sagesse (1 Co. I, 26). Modèle de conduite conforme, elle contribue à établir un ordre social réprouvé.