« Vous qui voulez être sous la loi, n'entendez-vous pas la loi ? Car il est écrit qu'Abraham eut deux fils : l'un de la servante et l'autre de la femme libre ; mais celui de la servante est né selon la chair, et celui de la femme libre est né à cause de la promesse. » (Ga. IV, 21-23)
Les deux fils, celui de Hagar et celui de Sarah, composent, selon Paul, l'allégorie des deux alliances (Ga. IV, 24). Venue en premier, l'alliance de l'homme psychique s'est nouée sur le mont Sinaï. Ce lieu, situé en Arabie est symbolisé par Hagar, l'esclave égyptienne de Sarah (Ibid. 25). Il faut comprendre que le lieu de l'alliance est lié à l'esclavage. En effet, Hagar est esclave et, selon le droit de l'esclavage inscrit dans la Torah, ses enfants le sont aussi : « Ton esclave et ta servante qui seront à toi, c'est aux nations qui sont autour de vous que vous achèterez esclave et servante. Et aussi parmi les fils des résidants qui séjournent chez vous vous en achèterez, ainsi que parmi leur famille qui est chez vous, ceux qu'ils auront engendrés en votre pays ; ils deviendront votre propriété. Vous les léguerez à vos fils après vous pour qu'ils en possèdent la propriété, vous les asservirez à jamais ; mais sur vos frères, les fils d'Israël, tel un homme vis-à-vis de son frère, tu ne domineras pas sur lui avec rigueur. » (Lv. XXV, 44-46).
Jérusalem partage le même sort que la servante étrangère, du fait de sa fidélité à l'alliance du Sinaï, c'est-à-dire, scellée en une terre d'où sortent les esclaves. Par extension, la Torah rend esclave tout homme qui se plie sous son joug. Il est important de noter le caractère outrancier pour les Hébreux de l'affirmation de l'apôtre. En effet, le Sinaï, « le milieu du désert » (Jub. VIII, 19), demeure pour eux le lieu de la présence quasi-physique de Yhwh : « La Gloire de Yhwh se posa sur le mont Sinaï. » (Ex. XXIV, 16). Dire que ce mont éminemment sacré est le lieu de l'esclavage dévoile le retournement de la pensée paulinienne. La Torah n'est qu'un contrat d'esclave imposé au peuple par un régisseur sinon par un législateur. Yhwh, en sa grande colère, devient lui-même le principe de l'esclavage ! Dès ce moment, dans la pensée de l'apôtre, il ne peut plus être Dieu. L'alliance de l'homme spirituel vient maintenant, elle s'adresse à une autre Jérusalem, une cité où l'esprit remplace la loi étrangère du Sinaï. Cette alliance de la foi se trouve symbolisée par Sarah, la femme libre d'Abraham (Ga. IV, 26).
Il est extraordinaire de voir à quel point Paul renie la religion des Hébreux. L'allégorie ne justifie pas toutes les audaces. Il vient d'inverser le sens de l'imaginaire hébraïque : à cause de l'événement du Sinaï, Israël n'est plus fils d'Isaac ! (Ibid. 28). Paul argumente en collant la « preuve » par l’oracle à sa conclusion (Ibid. 27) : « Pousse des acclamations, stérile, toi qui n'as pas enfanté, éclate en clameurs de joie, exulte, toi qui n'a pas mis au monde, car les fils de celle qui est désolée seront plus nombreux que les fils de celle qui est mariée, à dit Yhwh. » (Is. LIV, 1). En réalité, ce passage du Livre d'Isaïe met en scène Sion personnifiée qui voit le retour de ses fils exilés. L'image de la femme stérile crée le lien de Sarah à la Jérusalem spirituelle en laquelle Israël est remplacé par les nations. Ainsi, les fils d'Israël ont-ils perdu l'héritage des patriarches hébreux. Ils l'ont perdu à cause de leur fidélité à la Torah !
L'enseignement de l'exégèse paulinienne par l'allégorie montre aux Galates qu'ils n'ont pas le choix. De même que Sarah demande à Abraham de chasser Hagar (l'esclave), ainsi les convertis doivent-ils chasser les Nazaréens, ces esclaves de la Torah qui cherchent à les circonvenir, alors qu'ils n'ont pas la foi pour l'héritage (Ibid. 30). L'apostasie est abyssale. Paul établit qu'il faut voir dans les Hébreux, du fait que l'accomplissement de la promesse ne leur revient pas, de vrais fils d'Ismaël. La filiation d'Isaac et de Jacob ne peut être revendiquée que par les hommes de foi. Ce renversement outrancier du texte de la Genèse par le commentaire allégorique de l'apôtre est époustouflant. Le discours tourne autour de Dieu, parce que Dieu lui-même ne peut être renversé sans que n'accourent toutes les puissances (hostiles) de la terre comme du ciel.