Proclamer cette vérité et s'attabler dans un temple (1 Co. VIII, 10), en tirant gloire de sa liberté d'esprit, devient cependant une faute. En effet, tous les adhérents ne sont pas parvenus à une identique libération. D'aucuns restent empreints des interdits de la Torah ou, encore, des obligations de la Règle (Damas XII, 11-15). Le Seigneur Yhwh est en effet un Dieu jaloux : « Tu n'auras pas d'autres dieux en face de moi. Tu ne te feras pas d'idole, ni aucune image de ce qui est dans les cieux en haut, ou de ce qui est sur la terre en bas, ou de ce qui est dans les eaux sous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant eux et tu ne les serviras pas. Car moi, Yhwh, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, punissant la faute des pères sur les fils, sur la troisième et sur la quatrième génération, pour ceux qui me haïssent, et faisant grâce jusqu'à la millième pour ceux qui m'aiment et observent mes commandements. » (Ex. XX, 2-6 ; Dt. V, 7-10).
L'apôtre appelle « faibles » (1 Co. VIII, 11) les adhérents qui se soumettent encore à la norme. Il demande aux « forts » de ne pas les faire trébucher sur l'outrage que peut constituer leur liberté (Ibid. 9), de ne pas les éloigner brutalement de ce que le Christ révèlera peu à peu à leur propre conscience (Ibid. 11). Par le renversement du sens de la vérité, Paul retourne la valeur des faibles et des forts : « Qui donc, ô Dieu, se montre fort s'il ne t'a pas loué dans la vérité. » (Ps. Sal. XV, 2). Le terme « fort » se retrouve dans le fragment que l’on intitule « Pièges de la femme » où il désigne le Saint de la Communauté, également appelé « juste », « droit », « ferme » (Pièges 14).
La loi d'amour est première. L'affirmation de la liberté ne peut la précéder (1 Co. XIII, 4). La liberté évangélique repose moins sur la science du bien et du mal, que sur l'absence de loi. Paul n'en appelle point ici au discernement des esprits (Règle IV, 26), mais à la prévenance qui privilégie l'amour plutôt que la connaissance (1 Co. XIII, 2). La science n'est jamais que « partielle » (Ibid. 9), tandis que le vrai amour est « parfait » (Ibid. 10). La loi de l'esprit que le converti porte inscrite en son être intérieur, ne touche à l’absolu que lorsqu'elle est amour (Rm. V, 5). Elle se plie dans la relation aux autres, dans les moments indéfinissables que celle-ci traverse.
Il en va certes différemment de l'esprit de légalité que nul amour ne semble autorisé à plier (voir Dt. XIII, 7-12). La libération de l'empreinte de la Torah provoque chez les uns une conversion radicale, mitigée chez les autres. Elle ne peut revêtir chez tous la même force de conviction. L'un jugera à l'aune de sa conscience que manger une nourriture sacrifiée constitue une faute, tandis que l'autre jugera de façon contraire. En l'absence de toute nouvelle loi positive ou de toute référence objective, Paul affirme que les deux jugements doivent être respectés, dès lors que le choix appartient à chaque conscience.
Le rejet de l'objectivité de la norme n'empêche pas l'apôtre de proposer un modèle de conduite (1 Co. VIII, 12). La liberté n’est pas « naturelle ». Elle doit s'enseigner à ceux qui viennent de l'esclavage de la loi. Mais l'erreur consisterait à accorder à la connaissance une plus grande valeur qu'à l'amour, si bien que celle-là serait opposable à tous, comme une nouvelle loi positive issue du pouvoir que le savoir se donne. Si l'apôtre évacue toute relation légale et instaure entre les convertis une relation d'amour, ce n'est certes pas pour que s'instaure une sorte de hiérarchie de la connaissance et, par conséquent, du pouvoir, auquel celle-ci ne manquerait pas de prétendre. Le savoir n’impose jamais son ordre que sur la connaissance des lois. Ainsi lié à la légalité, il s'oppose à l'amour.
« Si quelqu'un pense connaître quelque chose, il ne connaît pas encore comme il faut connaître ; mais celui qui aime Dieu, celui-là est connu de lui. » (1 Co. VIII, 2-3)
L'universalité de l'amour contrarie « la connaissance des Saints » (Bénéd. I, 5). Pour les membres de la Communauté, la connaissance vient en effet de la révélation de la juste interprétation de la Torah (Damas XV, 13) (Test. Lévi XVIII, 9). Nous lisons dans les Hymnes que la loi est « la liqueur de la connaissance » (Hy. IV, 11). « Les instructions de la connaissance » sont équivalentes aux « ordonnances de justice » (Règle III, 1), « la connaissance véridique », au « droit juste » (Ibid. IX, 17) (Ibid. X, 25). Ce sont les hommes « de la connaissance » qui réprimandent le membre de la Congrégation qui a fait preuve de faiblesse et d'infidélité (Damas I, 5). Lorsque le Testament de Benjamin dit que « l'Aimé du Seigneur (...) [illuminera] d'une nouvelle connaissance toutes les nations » (Test. Ben. XI, 2), la prophétie ne peut être interprétée que dans le sens de l'accès des Goyim à la Torah. Il semble que nous retrouvions dans la doctrine essénienne l'enjeu de la modération paulinienne.
Il est certes une autre connaissance, une connaissance des mystères de Dieu (Rm. XI, 25). Nul n'en eut la révélation avant que l’évangile ne fût proclamé (Rm. XVI, 25) (1 Co. II, 7 ; XV, 51). Une connaissance qui n'est point la science des Justes (Hy. VII, 26-27), mais la conscience des Spirituels. Une connaissance subtile qui rejette la maîtrise des lois (Php. III, 8). Ce n'est certes point cette connaissance-là que Paul bafoue, mais la connaissance des maîtres du droit qui méconnaissent Dieu (1 Co. I, 21 ; II, 8) (2 Co. VIII, 9).
La connaissance évangélique reste toutefois relative, « partielle » (1 Co. XIII, 9, 12), dit Paul. Elle s'intériorise dans la conscience de chacun. Elle est soumise à la loi d'amour et de l'esprit, seule relation vraie aux hommes et à Dieu (1 Co. VIII, 3). Ainsi, l'apôtre peut-il dire que heurter la conscience des faibles revient à heurter l'esprit du Christ (Ibid. 12), quelle que soit la bonne raison pour ce faire.