Au centre de l’atrium du Muséum d’histoire naturelle de Toulouse, un pachyderme d’Asie est figé dans la pose que l’empailleur lui a donnée. Une plaque funèbre vante la qualité de l’œuvre, l’élan et la puissance rendus à cette peau tendue. Il est ajouté qu’un américain, probablement célèbre, s’est extasié devant ce travail d’artiste. Et chacun croit voir un animal en ce qui n’est, pas même une momie, qu’un épiderme cousu sur une forme. Il y a bien longtemps, un coup de fusil figea un éléphant. Le mouvement et la vie s’en sont allés que le démiurge naturaliste a prétendu évoquer en donnant à voir la relique de l’animal mort.
Ce jour-là, on célébrait l’ensemble du travail de rénovation du muséum. Une petite foule endimanchée, les coupes pétillantes au bout des doigts s’émerveillait bêtement du réalisme des pelages, plumages et toisons qui semblaient montrer là tant de vies qui n’étaient pas. Entre le zèbre et l’autruche, on passait au buffet prendre une tranche de cochon et de saumon apprêtées par des traiteurs d’un genre différent. Nul ne semblait effrayé à déambuler dans ce musée épouvantable dont la décoration faisait que chacun se sentait appartenir à l’élite des humains, maîtres des règnes.
Cathare, j’en appelle toujours au modèle et me pose la question : verrais-je Jésus en cet environnement-là ? Assurément non. Je n’imagine pas celui qui a chassé les maquignons du Temple s’enthousiasmer de l’habileté de l’empailleur et contempler une création nouvelle, poudrée et désinfectée. Comment la société chrétienne en est-elle venue à souffrir des valeurs aussi éloignées de celles du Nazaréen ? Le mouvement de pensée initié par Jésus s’attacha l’âme gréco-romaine grâce au modèle édulcoré initié par Paul et les hellénistes (l’apôtre inaugura la relation entre parfaits et simples croyants). Ils connaissaient leur monde et les conditions pour convaincre les masses. De même que l’on admettait dans les synagogues de la diaspora des judaïsants non circoncis, on devait recevoir des croyants de seconde catégorie dans la foi, ni végétariens, ni pauvres, ni non-violents, ni chastes. C’est ce christianisme-là que nous connaissons. Le prosélytisme d’urgence s’est établi dans la durée.
La conversion de Clovis accentua le caractère violent de la religion chrétienne établie par Constantin. Le mouvement gagna l’occident au prix d’une inversion des valeurs nazaréennes. Les guerriers, les chasseurs, les violeurs et les voleurs entrèrent en religion. Or, brutale ou sournoise, la violence représente la force contradictoire à l’enseignement de Jésus. L’Eglise ne retint que « l’unité du règne » pour s’édifier sur un christianisme du possible, infidèle à l’idéal nazaréen. L’amour pur ou la non-violence essentielle se cachait ailleurs, porté par une tradition spirituelle persécutée. Le christianisme populaire s’était adapté à la nature humaine qu’une gnose secrète tentait toujours de dépasser.
L’Eglise est aujourd’hui victime de ses compromissions. Elle ne porte plus l’espérance d’une société où l’homme spirituel dépasserait l’homme animal, c’est-à-dire, du « règne de Dieu » tel que Jésus l’entendait. En revanche, les mouvements non-violents ou écologistes, qui prônent le végétarisme, l’amour et la simplicité, témoignent que les progrès de la conscience occidentale se déploient en dehors du christianisme. Les concepteurs du nouveau Muséum d’histoire naturelle de Toulouse auraient été bien inspirés d’ouvrir leurs âmes au printemps des consciences. Ils auraient décidé un grand holocauste de toutes les reliques d’animaux, de volatiles et d’insectes hérités des collections du XIXe siècle pour effacer la cruauté de la relation de l’homme à la nature.
Un muséum est un lieu d’initiation et d’enseignement. La rénovation constituait le moment opportun de rompre avec la perversité. Mais voilà, l’homme de la Genèse reste le maître qui nomme les bêtes et en dispose. N’eût-il pas été extraordinaire de projeter en trois dimensions le film d’un troupeau d’éléphants, avec frisson garanti, au lieu d’étaler une vieille peau dans l’atrium ? de développer des images de la vie animale pour prêter à l’observation curieuse et au regard attentif de l’éthologue ou du psychologue ? Epier la diversité de la vie donne à saisir l’humain dans la germination de l’âme. La compassion envers la nature nous engage à ne pas lui faire l’injure d’exposer des animaux morts et des insectes épinglés. La violence est tellement prégnante que nous ne la voyons même plus, et nous visitons émerveillés, encore christianisés, le musée des horreurs.
Vous êtes invités à parcourir les nouveaux développements du site www.chemins-cathares.eu depuis la dernière pleine lune. La prochaine rencontre équinoxiale se déroulera le samedi 21 mars à La Bastida dels catars (Roquefixade) à partir de 15 h. Le thème central de notre conversation sera Les Actes de Jean. Je donnerai une conférence en Belgique le samedi 4 avril. Elle sera annoncée dans quelques jours à la rubrique « Agenda ».